Chant 1 : Le Grom, l'alchimie caché des pachyseris - Classical Odyssey by Kierkeg II ChanteBrume
Harlon se promenait parmi les tentes grises, salis de poussière et de sable. Il marchait l'esprit ailleurs, les mains dans les poches, l'humeur léthargique. Dévier de son quotidien ne l'amusait plus comme avant, il s'ennuyait vite et trouvait désagréable les moindres contretemps qui pouvaient le sortir de ses habitudes.
Sur son chemin, il lorgnait sévèrement les mineurs et les manutentionnaires qui prenaient leur pause déjeuner ou se rafraîchissaient à l'ombre. Aucun ne faisait attention à lui. Personne ne semblait se soucier de ses réprimandes muettes. Cette nonchalance ambiante l'irritait profondément sans qu'il ne puisse expliquer pourquoi.
Il s'était réveillé à l'aurore, ses yeux souffraient encore de picotement à cause du manque de sommeil. Son secrétaire l'avait dérangé pendant la nuit, une missive urgente lui était parvenue, indiquant de rejoindre l'exploitation KD-4 au plus vite. Il était précisé que l'urgence ne pouvait pas être écrite simplement sur une lettre.
"Quelle plaie." il s'était instantanément plaint en son for intérieur, maudissant le manager de la carrière et son stupide messager.
Harlon connaissait personnellement chacun des responsables des mines de la région. Il se doutait qu'une chose grave était arrivé, un événement suffisamment important pour justifier qu'il se déplace en personne.
Des sentiments paradoxaux s'emparèrent de lui. Une irritation d'une part, car il réprouvait l'incommodité de se déplacer hors de la ville. Mais il était également curieux de la situation, parce que ce genre de demande était inhabituel.
De nombreuses carrière de koraux dendrohyllia comme celle-ci entouraient Icanam et approvisionnait quotidiennement la ville en matière première pour faire fonctionner son activité industriel et immobilier. Harlon savait qu'il était commun de trouver des alchimies Silis parmi ces pierres. Ce matériau, à la ressemblance d'un cristal et reconnaissable grâce à sa couleur lapis lazuli, était le composant d'un artefact très précieux, le sillicium, porteuse de propriété hydrophobe puissant.
Harlon réfléchit. "Il s'agit immanquablement de terres rares... peut-être qu'ils souhaitent avoir mon feu vert avant l'extraction. Mais alors ce déplacement ne manquerait pas d'indiscrétion..."
Le site était immense, des galeries démarraient de plusieurs endroits, reliés par des rails surmontés de wagonnets rempli de pierres éclatés. De tous les côtés, des sons de pioche résonnaient sur les parois des tunnels avant de sortir de ces bouches béantes et obscures comme des complaintes d'âmes qui remontaient des enfers. On aurait dit qu'une chorale de monstres fossilisés vomissaient les entrailles de la terre et criaient à l'agonie.
L'agitation ambiant lui était désagréable. Il regrettait déjà le confort de son bureau.
Harlon se rapprocha d'un contremaître, visiblement moins absorbé par son travail que par les morceaux de jambons dans son sandwich.
"Monsieur Morton est là ?" Il demanda d'une voix neutre.
Le simplet leva la tête et fronça les sourcils.
"Vous êtes qui ?"
Harlon fit la grimace et lui lança un regard injecté de sang. Il se promit de virer cet abruti à la fin de la journée.
"Mr. Gautt", Harlon se présenta et attendit sa réaction. Il contempla la transformation du visage de l'incompréhension vers la terreur. Il ne put s'empêcher d'afficher un sourire cruel.
Si Harlon n'aimait pas sortir de chez lui, il adorait pourtant être vu et sentir son importance offerte par son poste, il jouissait particulièrement du profond respect qu'on lui conférait à chaque circonstance.
Le contremaître se leva d'un bon et s'inclina devant son directeur.
"Bonjour monsieur ! Laissez-moi vous conduire jusqu'à sa tente, monsieur."
"Ce ne sera pas la peine, dites-moi où il se trouve."
L'homme lui indiqua un petit chapiteau accoudé à l'entrepôt à ciel ouvert.
Harlon s'y dirigea la tête haute, pas peu fière de son petit effet. Il déplaça d'une main la toile et pénétra à l'intérieur. La tente était organisée à la militaire, des caisses remplis de registre traînaient un peu partout autour d'un bureau en bois clair posé à même la terre poussiéreuse.
"Monsieur Gautt." Morton s'inclina.
"J'espère que vous avez une bonne raison pour m'avoir fait me déplacer jusqu'ici." répliqua Harlon, faussement en colère. Il fallait bien jouer le rôle qui lui était attribué...
"Une très bonne, Mr. Gautt." répondit Morton très sérieusement.
"Approchez-vous par ici."
Morton déplaça quelques papiers et sortit un petit coffre d'une des caisses.
"Qu'est-ce que c'est ?" demanda Harlon, piqué par la curiosité.
Harlon Gautt ne comprenait pas comment un si petit objet contenu dans une boîte avait pu inciter Morton à l'appeler personnellement.
"Nous l'avons trouvé hier soir. Mes hommes ont travaillé toute la nuit pour le sortir dans la plus grande discrétion." Morton ouvrit délicatement le capot. Harlon resta bouche bée.
"Sous la culture de dendrohyllia se cachait un gisement de pachyseris." expliqua Morton, retenant son excitation.
"Comme vous le savez, dans chaque gisement de korail, il arrive parfois que le cœur d'origine reste intact après la première phase de croissance..."
La voix de Morton se faisait plus rapide, plus incertaine aussi.
"Il se fossilise alors sous forme d'alchimie... comme le Silis que vous m'avez demandé d'extraire monsieur..."
Morton balbutiait.
"Je n'avais jamais vu de koraux pachyseris de ma vie monsieur, mais j'ai tout de suite compris que nous étions tombés sur quelque chose d'extraordinaire."
"Alors je me suis dit que peut-être... peut-être si l'on creusait plus profond, nous pourrions trouver..."
"Un Grom..." continua Harlon.
Il n'en revenait pas. Harlon avait devant lui un objet unique en son genre, une terre rare qui à l'origine n'apparaissait que dans les mines profondes du Harmattan. Un joyau parmi les joyaux.
"Un Grom." répéta fièrement Morton.
Harlon contemplait l'alchimie, ses yeux brillaient d'une nouvelle admiration cupide. Des milliers de pensées se bousculaient maintenant dans sa tête.
"Cette pierre vaut une fortune. Non, elle n'a aucune valeur sans le savoir qui permet de créer son artefact. Les laboratoires secrets d'Aquillon connaissent peut-être la formule. Mais ils savent également que je l'ignore, les négociations ne seront pas équitables. Le mieux serait de me procurer un alchimiste et de fabriquer l'artefact moi-même. Jinno pourrait m'aider à trouver la bonne personne... Non, il se débarrasserai de moi à la seconde où il apprendrait que je suis en possession d'un tel objet. Ce sale rat... Avec cet alchimie entre les mains, je ne pourrais plus faire confiance à personne. Morton est loyal, je peux lui faire confiance... Mais les ouvriers sous ses ordres ? Je dois minimiser ce risque... La région est rempli d'incapable... Il me faut cet alchimiste.
" Morton !"
"Oui monsieur ?" sa voix était tremblante.
"Convoquez immédiatement les mineurs impliqués."
Morton quitta la tente en trottinant. La pièce vide, Harlon laissa échapper un long soupire.
"Il faut que je me calme. Je ne peux pas fuir avec le coffre, Jinno me surveille de trop près, il enverrai immédiatement des assassins à mes trousses. Je pourrais cacher l'alchimie et enquêter sur la formule sans attirer l'attention. Mais plus le temps passe, plus le risque d'une fuite d'information grandit. Et si le gisement de korail est pour le moment protégé, il est tout à fait possible que d'autres mineurs le découvrent dans les prochains jours. La carrière est grande, mais insuffisante pour garder le secret un long moment... Faire fermer la carrière n'est pas une option, même en provoquant un accident, l'activité reprendrai la semaine suivante. Trouvez un alchimiste capable de transformer un Grom pourrait prendre des mois..."
Il sortit de ses pensées. Morton était revenu, suivi de cinq hommes à la mine un peu perdue. Ils étaient probablement étonnés de se retrouver là. Sûrement qu'aucun d'eux ne savait combien leur découverte de la veille était importante.
"Messieurs, je vous félicite !" Harlon écarta les bras, affichant un large sourire.
"Vous venez d'être promu !"
Harlon se tourna rapidement vers Morton. "Combien gagnent ces types déjà ?
"Quinze atoll par jour, monsieur."
"Ces ridiculement bas" pensa-t-il. "Profitons-en..."
"Vous êtes désormais mes hommes de mains ! Toute information relative à votre travail est désormais strictement confidentielle et ne doit être partagé avec personne. J'ai bien dit absolument personne ! Et vous serez payé dix-huit atolls par jour."
"A l'avenir, vous répondrez aux exigences de Morton ou de moi-même. Pour le moment, je compte sur votre plus grande discrétion, vous continuerez à travailler sur le gisement de pachyseris jusqu'à nouvel ordre."
Leur nouvel emploi semblait leur convenir, aucun n'essaya de contester.
"Attendez-moi à l'extérieur de la tente."
Les cinq hommes sortirent à la file indienne sans poser de question. Harlon se tenait maintenant face à Morton, le visage grave, presque menaçant.
"Confie le gisement de pachyseris à un de tes hommes de confiance. Qu'il prenne les cinq gaillards avec lui, je veux qu'il se mette au travail tout de suite."
"C'est certainement un filon isolé mais je veux que vous cherchiez partout autour, et surtout en dessous ! Explosait moi tout le sol si la pierre devient trop dure."
"Les minerais seront entreposés avec le stock principal, je veux que personne ne se doute qu'ils soient là. Fait en sorte qu'ils soient oubliés sous la poussière. Je viendrais les récupérer une fois que l'affaire du Grom sera complètement réglée."
"Pour l'instant, profitons que personne ne soit au courant pour prendre de l'avance."
Morton était effrayé par l'excitation soudain de son directeur. Harlon lui posa une main attendrissant sur l'épaule.
"Quant à toi, je veux que tu retournes à Icanam. Oublie ton déjeuner, rends-toi directement à la guilde des scientifiques et demande-leur le registre des alchimistes inscrits à la chambre des sciences des Terres d'Helm. Fait une copie de cette liste, puis, je veux que tu te rendes chez chacun d'entre eux. Reste discret, demande-leur s'ils connaissent une personne douée en transformation d'alchimie, reste vague, laisse-les parler. Ne donne ni ton nom, ni les raisons de tes recherches. Je veux un premier compte rendu ce soir."
Harlon se tut un instant pour organiser ses pensées.
"Ah oui... Et comment s'appelle le gars près de l'entrée huit ?"
"Gary ?" répondit Morton étonné.
"Vire le moi sur le champ, ou dégrade le au rang de mineur... je m'en fou."
Morton resta immobile et muet, la bouche entre-ouvert.
"VA CHERCHER CETTE PUTAIN DE LISTE !"
Ses yeux s'allumèrent, comme percuté par un éclair, un tremblement monta dans son dos. Il sortit en courant de la tente.
Harlon prit le coffre dans les mains. "Toi, je t'emmène avec moi."
Il sortit de la tente les mains chargés du précieux trésor. Une terrible paranoïa s'empara de lui.
"Je ne peux pas rentrer simplement en ville avec ça dans les mains..."
Il rentra à nouveau dans la tente et chercha une solution entre les caisses et les outils de Morton. Ses yeux tombèrent sur un vieux sac de toile rapiécé, le genre porté en bandoulière et utilisé par les archéologues pour porter leurs documents et leurs fournitures. Il s'en empara et dissimula le Grom sous plusieurs couches de papier et des crayons de bois.
Il s'examina dans le reflet de sa montre de poche.
"Parfait."
Il avait l'allure d'un simple cadre minier. Peut-être trop bien habillé... Mais peu de monde le connaissait physiquement, seul son nom apparaissait régulièrement dans les discussions ou dans la presse, ce qui lui laissait encore la possibilité de se fondre dans la masse.
Il ne lui restait plus qu'à élaborer un alibi. Ses collègues à la Chambre du Conseil se poseront des questions sur son absence de ce matin, sa visite ici allait tôt ou tard s'apprendre.
Harlon consacra tout le reste de la matinée à inspecter la mine KD-4. Il interrogea les sous-responsables de chaque centre de gisement et vérifia que les stocks correspondaient aux relevés.
Tous s'étonnèrent de voir un haut fonctionnaire effectuer le travail d'un simple consultant et il passa son temps à sortir des phrases pré-faites.
"Rien ne vaut le terrain pour maîtriser son sujet derrière le bureau ou devant le Conseil !"
"J'ai besoin de m'imprégner du métier pour approfondir mes analyses et organiser au mieux la suite des événements."
Ou encore...
"Je suis là pour vous féliciter tous de votre admirable travail. Vous rendez la ville et le Comte fière ! Je vous remercie pour vos efforts."
Il finit sa tournée sous des applaudissements et des expressions de gratitudes de la part de chacun. Harlon esquissa un sourire, il se moqua intérieurement de leur crédulité. Dans son sac bien caché, se trouvait la véritable raison de sa venue, un objet qui n'était plus sorti à l'air libre depuis des années. Un objet qui avait la puissance de souffler un vent de catastrophes sur toute la région, balayant au passage toute ces vies courageuses aux visages assombris par la boue.
...
Harlon prit le chemin retour vers l'entrée de la carrière au bord de la route où sa voiture l'attendait. Le cocher dormait sous l'ombre d'un peuplier.
"Lip ! Debout."
Le jeune homme se leva instantanément, un peu gêné par la situation dans laquelle son maître l'avait trouvé et effrayé par sa réaction.
Mais Harlon n'avait que faire de la paresse de son servant. Il monta à l'arrière et indiqua qu'il pouvait partir.
"Nous rentrons à la mansion, monsieur ?"
"Non, je dois passer à la Chambre du Conseil. Une fois là-bas tu iras me chercher de quoi manger puis tu m'attendras. Ce sera l'affaire d'une heure ou deux maximums."