Cela faisait désormais deux semaines que Kathryn était arrivée à Haedleigh. Pour dire toute la vérité, la jeune princesse tout droit sortie de son couvent s'était particulièrement intégrée à la vie au village et notamment à l'auberge. Elle y avait déjà appris plus d'une dizaine de recette, aidant Adriel à la préparation des plats tous les midis sous mon regard attentif.
J'avais confiance en le soldat, évidemment mais elle restait ma cousine. Et ces deux semaines durant, je n'avais eu de cesse de m'inquiéter de ce mal possiblement héréditaire dont elle pourrait souffrir.
Une idée "imbécile" me souffla Seth, râlant contre mes absences quotidiennes comme à chaque fois alors qu'il s'installait à mes côtés à notre table habituelle pour notre petit déjeuner. Il n'avait néanmoins pas tort sur certaines choses. D'abord, je n'étais plus vraiment présent à la ferme. Il en avait pourtant besoin. Le décès de son père avait tout chamboulé. Les terres lui revenant d'héritage, il avait fort à faire mais rien n'y avait fait. Je n'avais pas su quitter Kathryn des yeux.— Tu vas venir aujourd'hui ? me demanda-t-il en posant discrètement sa main sur ma cuisse. Ma mère nous a fait de la bouillie d'avoine pour ce midi. Celle avec les fruits secs que tu aimes bien.Pas de reproches ? Clignant les yeux, il m'avait au moins fait sortir des mes pensées alors que je tournai la tête vers lui pour l'observer, un peu surpris.— Me regarde pas comme ça, grommela-t-il. J'ai bien compris que te hurler dessus te ferais pas bouger d'ici.— Après deux semaines, heureusement... soufflai-je à mi-voix.— Tu sais qu'elle va pas se renverser de l'huile bouillante dessus pour se tuer ? Et que si elle le faisait, Adriel l'en empêcherait ?— Mmh...— Elian...— On ne sait jamais, coupai-je court en retournant à mon observation.— Explique moi à quoi ça sert de la surveiller la journée si tu ne la surveilles pas aussi la nuit ?— ... Tu crois que...- NON ! m'arrêta-t-il, me faisant sursauter. Ce que je veux dire c'est que si elle veut faire quelque chose, elle le fera. Alors arrête.— Parce qu'elle veut faire quelque chose ?!— Mais je n'ai pas... RAH ! ELIAN ! Par pitié ! Viens avec moi ! Tu ne vois pas que tu me man...Seth s'arrêta soudain alors que Kathryn et Adriel s'installaient face à nous, surpris du grabuge que nous étions en train de commencer.— De quoi vous parlez ? Qu'est-ce que tu as encore fait pour l'agacer, Elian ? gronda doucement la jeune femme.— Mais... je n'ai rien fait ! me défendis-je. C'est lui qui vient pour me faire tondre des moutons et...— C'est vrai que vous n'êtes pas allés à la ferme depuis des jours... appuya Adriel sous mon regard courroucé. — Va aider Seth ! insista même Kathryn. S'il vient te chercher, c'est qu'il en a besoin. Je ne vais pas disparaître !— Ce n'est pas...— Tu crois sérieusement que je n'ai pas vu que tu restes là pour moi ? Même si je ne dis rien, je commence à avoir envie de te pendre par les pieds. Alors vois ça comme un conseil avant que je ne demande à Adriel de te tuer pour moi.— Princesse, je... commença Adriel, visiblement mal à l'aise.— Je plaisantais, Adri, souffla-t-elle dans un sourire amusé. Mais le reste n'en est pas moins vrai. Elian, tu me sors par les yeux. Alors pars d'ici et vite. Et que je ne te revoie pas avant que tous les montons soient propres, nourris et câlinés.— On ne câline pas les moutons... soupira Seth.Adri... Depuis quand l'appelait-elle par un surnom qui plus est ridicule ? Enfin ce n'était pas la question. Le débat tenait en effet plutôt sur le fait qu'elle me chassait et particulièrement clairement. Moi. Son cousin. Son Prince. Elle me chassait comme un mendiant. D'un lieu qui ne lui appartenait même pas...— Tu prends un peu trop tes aises...bougonnai-je, baissant mon nez dans mon déjeuner que j'avalais lentement, comme pour l'empêcher de me mettre dehors véritablement.— Et je lui donne raison ! cria Tom à tue-tête de l'autre bout de la pièce. Vous êtes le meilleur planteur d'oignon de la région. J'ai aussi besoin de vous !— Et moi ?! s'insurgea Seth en se levant.— Toi tu es le meilleur mangeur de soupe d'oignon, plaisanta-t-il avant de s'arrêter netSurpris, je levai le nez pour me stopper à mon tour.— Prince Tobias. Comtesse Annalise, salua l'aubergiste en s'inclinant. Installez-vous ! Vous devez être épuisé du trajet ! Je vais vous préparer quelque chose !L'homme s'éclipsant, je restai muet, le regard fixé sur mon frère alors que Seth se levait comme monté sur un ressort, se figeant entre notre table et eux.— Rasseyez-vous Monsieur Parsons, souffla Annalise dans un sourire. Nous ne sommes pas là pour créer la moindre discorde.— Elian. Kathryn, salua Tobias dont le regard semblait étrangement soulagé, s'asseyant à la table qui leur avait été présentée.— Pas de Monsieur Parsons, gronda le paysan en s'avançant. Qu'est-ce que vous faites ici ? Et j'ai pas franchement la patience pour le demander deux fois.— Seth... murmurai-je sans grande force, désirant autant l'arrêter que je craignais que le Roi ou la Garde n'ait suivi mon frère et ma fiancée, quoique l'était-elle encore...— J'attend, articula de nouveau Seth.— Nous ne sommes pas là pour vous vendre, Seth, répondit Tobias, les sourcils froncés. Nous sommes là pour Kathryn. Ni pour vous, ni pour mon frère, quand bien même j'aurais bien des choses à lui dire.— Inutile. Il ne vous doit rien.— Effectivement. Mais peut-être pourra-t-il rassurer les angoisses d'un frère qui ne savait pas où se trouvait son cadet.— Tobias, tu... A mon tour, je me levai pour avancer vers mon frère, surpris de ce que je venais d'entendre. S'était-il réellement inquiété pour moi ? N'avait-il réellement aucune intention de me ramener à la capitale ? Son regard ne détrompa que peu. Tobias me rejoignit alors et, pour la première fois depuis longtemps, m'attira à lui dans une étreinte dont j'avais oublié la douceur. L'entourant de mes bras, je le serrai doucement contre moi. Mon frère m'avait manqué. Sans vouloir me l'admettre, je me rendais compte de la peur que j'avais ressenti à risquer de ne plus jamais le revoir. Mais il était là et quoiqu'il désire... Cela me faisait un bien certain.— Est-ce que tu vas bien ? me demanda-t-il à mi-voix. Est-ce que tout va bien, Elian ? Qu'est-ce qui t'a pris par la tête ?— C'est...Je ne sus pas comment lui expliquer. Je ne sus d'ailleurs même pas quoi lui expliquer. Comment lui dire que j'avais décidé de rester ici à cause d'un sentiment qui allait m'empêcher de faire mon devoir, comment lui dire que de toutes les personnes sur terre, j'étais tombé amoureux d'un homme, d'un chef de rébellion villageoise. Comment lui dire que je ne voulais plus retourner là-bas, pas si cela me séparait de Seth Parsons qui le fusillait du regard à l'instant même.— Promet moi juste que tout va bien. Reprit Tobias.— C'est promis, soufflai-je en me reculant. Je t'assure. Tout va bien. Mais... Pourquoi êtes-vous venus ?Car cela ne répondait pas à la question que nous nous posions tous. Pourquoi le Prince d'Hapalan était-il revenu dans ce village, qui plus est accompagnée d'une future Princesse d'Hapalan ? Pour quelle raison avaient-ils fait ce trajet ?— Le Roi n'est pas idiot, commença alors Annalise. Princesse Kathryn, vous avez intercepté un messager en direction de la région...— Un messager en possession de ma lettre, ajouta Tobias. Je ne doutais pas qu'Elian puisse s'être enfuit dans les environs. Hayes n'en a pas non plus douté car cela fait deux semaines qu'il jure ma mort si je ne pars pas dans la seconde pour te récupérer. Je l'ai fait patienter jusqu'à notre départ mais voyant que tu ne revenais pas...— Le Prince Tobias a été obligé de prendre la route, reprit Annalise. Il m'a demandé de l'accompagner afin de pouvoir m'entretenir avec vous, Princesse.— La douceur et le tact d'Annalise me semblaient être de meilleur ton que ma façon de faire habituelle. Une femme aura toujours plus de délicatesse pour parler à une autre femme et...— Je ne rentrerais pas, coupa fermement Kathryn. Je suis bien ici. Je reste ici.— Kathryn, Hayes s'inquiète pour toi... murmura Tobias en s'approchant de notre cousine. Il ne veut que ton bien.— Ce gars est capable de s'inquiéter pour autre chose que son cul posé sur son trône ? grogna soudain Seth, laissant Tobias l'assassiner du regard.— Je tolère beaucoup de choses, Seth, mais gardez vos commentaires désobligeants pour vous.— Sinon quoi ? provoqua le paysan. Vous aussi allez vouloir m'exécuter sur place publique ? Ca me changera pas des masses, ça a l'air d'être le sport national de votre famille alors...— Seth... S'il te plait, soufflai-je, posant une main que je voulais discrète sur son bras. Tobias ne t'a rien fait...— Non, mais...— Arrête, insistai-je. Il ne t'a rien fait. Ne t'en prend pas à lui s'il te plait.Fut-ce mes paroles, ma voix ou mon regard suppliant, Seth finit par se calmer et reculer d'un pas alors que Tobias retournait son attention sur la pauvre Kathryn, visiblement apeurée par sa présence.—Je ne veux pas y retourner, Tobias, implora-t-elle.— Kathryn... C'est pour ton bien, tenta de la convaincre mon frère. Tu sais ce qui est arrivée à ta mère et...— Pourquoi m'avoir menti ?coupai-je à mon tour. Pourquoi avoir écrit qu'elle...— Hayes. répondit-il brusquement sans me laisser terminer. J'ai voulu t'écrire la vérité , mais il a intercepté la lettre. Outre me faire passer un interrogatoire par Père afin de savoir où tu étais passé, il a réclamé à ce que jamais le mot suicide ne soit écrit ou prononcé. Je n'ai fait que suivre ses ordres pour pouvoir te prévenir de l'essentiel, de leur mort.— Et vous êtes donc en train de demander à une gamine de retourner auprès d'un homme qui préfère mentir à sa propre famille, et qui interroge pour trouver et, vous savez très bien, punir son cousin ? Vous essayez vraiment de lui faire croire qu'il s'inquiète ? fustigea Seth, la voix un peu plus calme. Ce que je crois, c'est qu'il est juste hors de lui que sa sœur imite son cousin et se soustrait à son autorité, c'est tout et...— Ne continuez pas sur votre lancée, gronda Tobias en se retournant vers Seth alors que je m'interposai entre les deux, le suppliant à son tour du regard.— S'il vous plait. Pas maintenant...— Le Prince Elian a raison, approuva Annalise, attirant doucement Tobias en arrière pour reporter son attention sur Kathryn. Princesse, la maladie de votre mère... Nous ne savons pas si elle est héréditaire. Vous pourriez avoir besoin de soins. Vous pourriez risquer de finir comme elle et...— Je ne rentrerais pas ! cria soudain Kathryn, reculant brusquement. Vous ne m'y forcerez pas ! Personne ! Je ne veux pas être enfermée ! Je ne veux pas... Il ne me laissera pas tranquille !Le silence se fit. Nous savions pertinemment tous que Kathryn disait vrai. Hayes n'avait jamais vraiment supporter l'échec ou que l'on s'oppose à lui. Depuis notre jeune enfance, je me souvenais de lui comme d'un garçon turbulent et particulièrement fier. Et si cela ne m'avait jamais vraiment perturbé, je me rendais, aujourd'hui, compte combien cela pouvait être un comportement dangereux lorsque le pouvoir était entre ses mains. Pourtant, je craignais pour la vie de Kathryn, peu convaincu, au contraire de Seth, que cela ne fût pas héréditaire. J'étais d'ailleurs effectivement resté des heures et des jours à la surveiller en dépit de grondement du paysan, au point de la faire même me chasser de l'auberge. Mais n'était-elle finalement pas plus en sécurité ici, en liberté, qu'enfermée et observée dans une seule pièce du chateau comme l'avait été sa mère, enfermée par notre grand-père ?— Nous pourrions peut-être convaincre Hayes de te laisser...— Tu sais que tu n'y arriveras pas, coupai-je mon frère. Hayes n'écoute que lui.— Kathryn est en sécurité ici, appuya Seth, la voix étrangement plus sereine qu'auparavant. Elian est collé à elle à longueur de journée, Adriel la surveille tout autant et en plus d'être en sécurité, elle sera toujours plus libre que chez vous.— Kathryn... souffla Tobias à l'encontre de la jeune femme.A son regard, je devinai qu'il cherchait autant une approbation qu'à se rassurer. S'inquiétait-il réellement pour nous ; lui qui avait rarement fait preuve de douceur envers le moindre membre de notre famille était-il, finalement, celui qui s'inquiétait le plus ?— Seth a raison, insistai-je à mon tour. Kathryn ne risque rien ici. Je te le promets.— Et je suis bien ! reprit-elle plus farouchement. Pitié Tobias... Je ne veux pas y retourner. Je ne veux pas finir comme Mère...Mon frère sembla perdu et nous observa les uns après les autres alors qu'Annalise s'avançait vers lui, posant une main délicate sur son bras pour attirer son attention.— Vous ne pourrez pas la forcer. Nous nous étions mis d'accord... souffla-t-elle à mi-voix à l'encontre de Tobias avant que son regard ne se pose sur moi. Nous vous la confions donc. — Hayes sera hors de lui si elle ne revient pas avec nous...— Mieux vaut le gérer lui que la voir malheureuse, ne pensez-vous pas ?Le soulagement qui pu se lire sur le visage de Kathryn fut évident alors qu'elle s'avançait vers la Comtesse pour serrer ses mains dans les siennes, la remerciant bien plus de fois qu'il ne fallait jusqu'à arracher un rire à Annalise et qu'un sourire n'étire mes lèvres. Oui, définitivement, Annalise était quelqu'un de bien. Je ne m'étais pas trompé. Ma première impression avait été bonne et Tobias sembla enfin rendre les armes, se laissant tomber sur la table pour commander un vin d'orge, invitant même Seth à en faire de même sans que celui-ci ne réponde.A la place, l'homme se tourna vers moi, fixant la comtesse qui s'avançait vers moi. Et s'il n'avait s'agit que de curiosité, son regard se durcit dès que j'invitai Annalise à sortir vers quelques pas pour la remercier.
La sortie acceptée, nous quittâmes l'auberge sous le regard tant de Seth que de Tobias qui le retint d'un geste, non sans provoquer une autre de ses colères. Silencieux, nous marchâmes à travers les rues du village, observant ce qui nous entourait sans que l'un ou l'autre ne se décide à prendre parole. Du moins jusqu'à ce qu'elle ne le fasse, elle.— Monsieur Parsons est un personnage haut en couleur.— J'aurais certainement d'autres mots pour le décrire...— Je n'en doute pas. Vous semblez...Elle se tut, m'obligeant à tourner la tête vers elle alors que nous nous installions sur un banc, à l'ombre d'un arbre.— Je semble ? m'enquis-je alors que le silence avait repris sa place.— Puis-je vous poser une question ?Me poser une question alors qu'elle ne répondait pas à la mienne ? Je n'aimai cette façon de faire qui m'angoissa soudain dans une bouffée de chaleur. J'acquiesçai pourtant.— Appréciez-vous Seth ?Le silence se fit entre nous. Mes yeux figés dans son regard, je n'eus aucune réaction. Comme si je comprenais une chose silencieuse, je ne sus pas répondre. Mais le silence ne me rendait-il pas plus coupable que je ne l'étais ?- Je vois...finit-elle par reprendre en détournant le regard avant qu'un sourire n'éclaire son visage. Je ne sais pas qui a le plus de chance, finalement.— Pardon ?...Je ne comprenais plus alors que son sourire s'agrandissait, creusant encore un peu plus les fossettes qui ornaient ses joues, lui donnant même cet air enfantin qui m'avait plu lorsque je l'avais vu la première fois.— Ne me dites rien, reprit-elle. Mieux vaut que personne ne sache rien. Mais je pense deviner que... Enfin je suis assez douée pour observer et je crois savoir nos fiançailles n'ont pas été fêtées par tous. Alors...— Annalise... Désirez-vous encore vous marier avec moi ? la coupai-je soudain.Cette question, je la craignais autant que je l'espérais. Une réponse négative pouvait me libérer, évidemment. Ces fiançailles me semblaient être comme une épée de Damoclès. À vrai dire, ma vie entière me semblait être une épée de Damoclès. Mais ces fiançailles restaient difficile à accepter.Annalise était une femme magnifique, douce, gentille et j'admettais qu'il ne m'aurait pas été difficile de tomber sous son charme. Sûrement l'étais-je d'ailleurs mais qui un jour pourrait se targuer de ne pas l'être ? Elle pouvait faire une Princesse d'Hapalan merveilleuse. Mais il y avait ce mais prénommé Seth qui s'était insinué dans ma vie, brouillant la vision que je pouvais avoir de mon avenir. Alors, oui, une réponse négative me libèrerait autant qu'elle m'effrayait. Ayant fui la capitale, ayant refusé d'obéir au Roi, Annalise était comme mon dernier lien réel avec ma position de Prince. Elle était mon espoir d'avenir dans ma propre famille. Je ne savais, finalement, pas ce que je devais espérer le plus désormais.Mais ce fut par le silence qu'elle me répondit, le regard plongé au loin, dans le vague.— Ce n'est pas à moi de décider, finit-elle par articuler, me faisant serrer les dents tant cette réponse était tout sauf ce que je pouvais attendre. Mais je le ferais avec plaisir si cela vous va. Malgré tout.Malgré tout... Que cela voulait-il dire ?— Vous êtes un homme bienveillant, Prince Elian, continua-t-elle. Intègre, courageux et réfléchi. Aucune femme ne pourrait se refuser à vous et cela sans même prendre en compte votre position. Mais je comprendrais que... Enfin... Si je peux me permettre une seule chose, un conseil... Vous avez trop avancé pour reculer maintenant. Alors, ne vous forcez plus à rien. Votre position n'est rien face au reste. Et je suis peut-être encore une enfant naïve que de penser de la sorte mais ce qui a été dit pour la Princesse est aussi valable pour vous. Soyez en sécurité et heureux. Quant bien même certains se mettront en colère et vous repousseront. Je ne doute pas que vous puissiez trouver votre bonheur ici. Il suffit d'observer ce qui vous entoure. Alors disons que je vous épouserais avec plaisir autant que je refuserais de vous épouser avec plaisir. Son rire cristallin entraîna le mien alors que je secouai la tête, amusé et soulagé par cette conclusion bien plus agréable à mes oreilles que toute autre réponse. Baissant la tête, je soupirai alors doucement.— Merci...Ce fut finalement la seule chose à prononcer à cet instant. Un remerciement qu'elle refusa d'un mouvement de tête alors qu'elle se redressait, osant poser une main sur mon épaule, son sourire radieux toujours aux lèvres.— C'est moi qui vous remercie, Votre Majesté, ajouta-t-elle. Vous m'avez montré qu'il est possible de trouver le bonheur, même lorsque nous ne sommes pas nés pour cela.Son regard fut bientôt attiré par quelque chose derrière moi m'obligeant à me retourner pour apercevoir un Seth au regard étrangement serein quoique sombre. Mon frère lui avait-il lavé le cerveau, lui que j'avais entendu gronder à notre départ ?— Je vous laisse d'ailleurs avec son responsable et me permet de rejoindre votre frère, reprit Annalise dans un sourire. A tout à l'heure, Votre Majesté.Il n'y avait au moins plus vraiment de doute quant à ce qu'elle pensait. Je me redressai enfin, faisant face à Seth qui salua à peine la jeune femme passant à côté de lui avant de s'avancer vers moi. Posant sa main sur ma taille, il me fit reculer derrière l'immense arbre qui protégeait le banc du soleil.— Nous sommes dehors... murmurai-je.— Ne parle plus de mariage avec qui que ce soit, gronda-t-il à l'oreille, sa tête se nichant dans mon cou. Ne te maries pas.Resté quelques secondes immobile, un léger sourire étira mes lèvres, attendri, alors que mes bras imitaient les siens, se glissant dans son dos, jusqu'à ses cheveux que je caressai doucement.Seth n'était pas quelqu'un de facile. Colérique, impulsif, souvent grognon, il pouvait facilement rebuter mais Annalise avait raison. Il était en grande partie la raison de mon bonheur actuel. Sa douceur à mon contact, sa tendresse à mon égard, sa peur que je ressentais alors qu'il me serrait davantage... Tout en lui me touchait. Il n'était pas mauvais, il était tout le contraire. Caché derrière des défenses de colère et de brusqueries, le coeur de Seth était bien plus grand, bien plus tendre que je ne l'avais imaginé au début.
— Comment veux-tu que je me marie en restant ici ? répondis-je enfin à mi-voix, embrassant sa tempe avec tendresse.Le regard baissé vers son visage si proche, j'y vis un sourire léger apparaître.— Elle a compris. Je ne sais pas comment mais elle sait pour nous, l'informai-je avant que je ne le sente se tendre. Elle ne dira rien. Elle m'a demandé de ne rien lui dire, de ne rien approuvé pour qu'elle ne sache rien véritablement. C'est quelqu'un de bien, tu sais...— Je sais, articula Seth. C'est pour ça que je l'aime pas. Elle me faisait peur.À ces mots, je souris de nouveau en secouant doucement la tête, autant amusé qu'attendri par cette crainte que je tentai de lui faire oublier. Je glissai pour cela mes lèvres contre les siennes, capturant son souffle l'espace d'un instant qui n'appartenait plus qu'à nous. Là, contre lui, j'en oubliai ce qui pouvait nous entourer : la réalité autant que les autres et jusqu'aux rayons de soleil qui nous réchauffaient pourtant et qui finirent par me rappeler à l'ordre.— Retournons à l'auberge. Ils ne vont pas repartir maintenant et je suis sûr que l'on peut convaincre mon frère de venir faire la toute première tonte de Chouchou et Frisette avec nous, chuchotai-je.— Chouchou et Frisette ? Attends... Tu...Seth se recula, plissant les yeux alors qu'il comprenait parfaitement ce que j'avais encore fait.— Donc eux non plus, je ne pourrais pas les vendre, c'est ça ? Ils vont devoir rester avec nous jusqu'à la fin de leur vie ? Tu sais que je ne peux pas garder tous les moutons, Elian ? Que les agneaux sont aussi faits pour être vendus ?— Promis... Ce sont les derniers... S'il te plaît... Ils sont beaucoup trop mignons... Allez...Levant les yeux au ciel, Seth secoua la tête, refusant même de répondre à ma supplique. Se détournant de moi pour reprendre le chemin de l'auberge, il m'obligea à le suivre, à l'implorer de plus belle, lui arrachant un rire sans aucune autre réponse.Oui, j'étais définitivement heureux ici. Avec lui. Grâce à lui.Annalise avait raison.