Dans les ténèbres de la nuit, une petite lueur perçait d'une ruelle, entre les murs délabrés de vieux magasins abandonnés. Trois silhouettes se tenaient autour d'un feu, partageant le peu de nourriture qu'elles avaient pu trouver. Elles parlaient, discutaient, buvaient et mangeaient. Pour la première fois depuis des mois, Mark avait enfin l'occasion de converser avec d'autres êtres humains.
Une femme et un homme. L'homme s'appelait Francis, et la femme, Maira. Cette dernière ne parlait pas beaucoup, son anglais était hésitant, marqué par un accent étranger évident. Francis, au contraire, parlait un anglais fluide et raffiné, ses mots, bien que puissants, étaient empreints de sympathie. Mark se sentait heureux. Il ne réalisait pas à quel point cela lui manquait de discuter avec quelqu'un d'autre que lui-même.
Il leur raconta ses malheurs, ses routines, ses exploits, sa mission. Il leur parla de la raison pour laquelle il avait quitté son domicile.
— La vie ne t'a pas fait de cadeau, mon gars, dit Francis en le regardant avec compassion. Ça a dû être dur de rester seul aussi longtemps parmi les morts.
— Et vous ? Que faites-vous ici ?
Francis marqua une pause, fixant le fond de sa bouteille avant d'en boire la dernière gorgée. Il leva les yeux vers Mark.
— On essaie de rejoindre Louisville.
Il attendit quelques instants, scrutant la réaction de Mark. Celui-ci resta impassible, puis répliqua d'un ton amer :
— Je comprends… Il n'y a donc vraiment nulle part d'autre où aller ? Putain de merde.
Le silence tomba sur le groupe, pesant comme une couverture de désespoir. L'atmosphère s'alourdissait, la peur commençait à les envelopper. Maira leva alors la tête et, avec un accent russe prononcé, s'adressa à Mark :
— Est-ce qu'il y a une voiture en ville qu'on peut utiliser ?
Il fallut quelques secondes à Mark pour remettre en ordre les mots maladroits de Maira dans son esprit. Puis, sans hésiter, il sortit une carte froissée de sa poche et la déplia sur le sol. Il pointa vers le nord-est de la ville.
— Oui, j'ai une voiture. Elle est à deux heures de marche d'ici, et il y a assez d'essence pour rejoindre West Point.
Un éclat d'espoir brilla dans les yeux de ses compagnons. Francis fut le premier à réagir, se jetant presque sur Mark pour le serrer dans ses bras.
— Sérieusement !? Merci, merci beaucoup, dit-il avec émotion.
Puis, dans un français parfait, il ajouta :
— Oh mon Dieu, merci infiniment.
Maira s'approcha à son tour et étreignit Mark, des larmes aux yeux.
— Merci… snif… Merci beaucoup, murmura-t-elle.
Mark tapota doucement l'épaule de la jeune femme. Il ressentait lui aussi une immense joie, mais pas à cause de la voiture. Ce qui le réchauffait, c'était d'avoir pu offrir un moment de bonheur à ces deux âmes perdues.
Merci, mon Dieu, de m'avoir mis sur leur chemin et permis de les aider, pensa-t-il.
Le soleil se levait à peine que les trois survivants étaient déjà en route vers leur destination. Après avoir rempli leurs bouteilles au distributeur d'eau, ils avaient repris leur marche vers l'est. Mark menait l'expédition, la carte en main, qu'il consultait régulièrement avec prudence.
— Si on se dépêche, on pourra atteindre ton frère avant la fin de la matinée, dit-il. De là, on fera le plein et on ira chercher la voiture de Francis. Ensuite…
— West Point, compléta Francis.
Mark hocha la tête, toujours masqué par son masque à gaz, avant de fixer l'horizon, concentré sur la route à suivre.
Sur le bord de la route nationale, une Chevrolet Impala était garée. Le coffre entrebâillé laissait entrevoir un intérieur taché de sang. Un homme en sortit un sac mortuaire imposant et le déposa délicatement au fond d'une tombe fraîchement creusée. Puis il répéta le geste avec un autre cadavre, juste à côté.
L'homme s'arrêta un instant, le regard perdu, avant de s'asseoir contre le flanc de la voiture. Il alluma une cigarette Chesterfield et contempla silencieusement les deux tombes encore béantes, attendant d'être recouvertes. Il prit une longue bouffée, expira lentement un nuage de fumée, puis se retourna pour inspecter l'état de la voiture.
L'Impala était dans un sale état. Crasseuse, cabossée de partout, avec des griffures et des taches de sang sur chaque côté. Un des phares avant était explosé, et le capot, ainsi que le pare-brise, ne tenaient qu'à un fil.
L'homme leva les yeux au ciel, l'air exténué.
— T'es sérieux, John ? murmura-t-il. Ça ne devait pas se terminer comme ça.