La porte d'entrée était ouverte en grand, Yohan et Jonathan avaient les bras croisés, l'un fronçait les sourcils et l'autre les haussait d'un œil amusé. Katherine se tenait juste devant eux, l'air stupéfait à deux pas de Mark et Eowyn qui étaient toujours proches l'un de l'autre.
—Eowyn ! s'exclama Adrien. On a retrouvé nos corps !
Elle acquiesça en silence en reculant jusque dans ses bras. Katherine devint toute rouge et s'écria :
—Attends ! C'est la seule chose que tu vas lui dire, alors qu'elle se trouve dans les bras d'un autre ? Comment vous avez pu faire ça tous les deux ?!
—Mais, elle était dans mes bras il y a une minute, répondit Adrien en se frottant la nuque.
—Pardon ?!
Un ricanement retentit du pas de la porte, suivit de :
—On a interrompu un ménage à trois on dirait, s'amusa Jonathan.
—Mais non ! fit Eowyn. J'embrassais Adrien il y a quelques secondes, mais nous étions piégés dans des corps qui n'étaient pas les nôtres. J'imagine que nous avons réussi une épreuve puisque le sort s'est annulé au moment où vous êtes arrivés.
—Attendez là ! fit Jonathan, tout à coup très sérieux et agacé. Nous, on a dû se transformer en chimère, puis rester des animaux pendant près d'une heure avant de retrouver forme humaine. Et vous, votre épreuve consistait à vous embrasser ?!
—Pas exactement jeune homme, fit une voix grave derrière eux. Ils avaient aussi à réfléchir et trouver plusieurs solutions à leurs préoccupations.
Jonathan sursauta en en entendant la voix de Nicolas Flamel, mettant la main à son épée. Mais le vieil homme levant ses mains en signe d'apaisement.
—Du calme, allons ! Je ne vous veux pas de mal. Vous avez réussi toutes les épreuves.
—Toutes ? demanda Yohan. C'est vous qui nous avez fait passer toutes ces épreuves ? Et là, c'est fini alors ?
—Oui, je vais vous donner la pierre philosophale.
—On ne doit pas vous affronter tous ensemble, comme un boss de RPG ? dit Jonathan sceptique.
—RPG ? répéta Nicolas Flamel, intrigué.
—Il est né à la renaissance fit Eowyn, à l'attention des trois nouveaux venus.
—Alors l'élixir de longue vie n'est pas une fable, murmura Yohan stupéfait.
—C'est toujours ce qui intrigue les gens en premier, dit doucement le vieil homme et c'est aussi pour cela que vous avez dû affronter toutes ces épreuves.
—Vous vouliez des personnes parfaitement heureuses de leur vie et qui préfèreraient affronter leurs peurs plutôt que de s'en prémunir en s'affranchissant de la mort, dit Katherine en un souffle.
—Exactement jeune demoiselle. Et vous vous êtes montré tous, tour à tour, à la hauteur de cet objectif. Je vous en félicite. Voici la pierre !
Il fouilla dans sa poche et en extrait une pierre rouge sang de la taille d'une boule de pétanque. Il la posa doucement sur la table basse devant la cheminée qu'Adrien avait entretenue. Tous regardaient, fascinés, l'objet de leur quête désormais accomplie.
—Qu'est-ce que l'on va faire, murmura Jonathan, puis il reprit d'une vois plus assurée. Maintenant qu'elle est là. On avait dit que l'on déciderait quoi faire au moment venu. Mais, je ne vois toujours pas de solution.
—Il faut la détruire, affirma Katherine.
Tous la regardèrent, interloqués.
—Quoi ?! rugit Jonathan. On s'est donné tout ce mal pour la détruire !
Yohan le fusilla du regard en enlaçant Katherine, qui s'était mise à frissonner. Ses yeux hurlaient : « Crétin ! ». Elle reprit :
—Si on la ramène au palais, des gens tenteront de l'utiliser et, qui sait, trouveront le moyen de créer de l'or ou l'élixir de longue vie. On essayera de la voler, ou pire, de réaliser le fantasme du patron de Sabrina.
—Alors il faut la rendre inutilisable, affirma Adrien. Ne pas la détruire, mais empêcher quiconque de l'utiliser. Elle restera alors tranquillement dans le coffre du palais et personne n'essaiera de la voler.
—Même si on arrivait à la neutraliser, comment arriverait-on à convaincre la reine qu'il s'agit bien de la pierre philosophale ? demanda Mark.
Le vieil homme avait la réponse : en réalité, il avait préparé l'élixir de longue vie pour eux tout à l'heure. Il leur donna ainsi que la barre de métal légèrement doré, ainsi qu'une lettre adressée à la reine de Diamant. Lorsque Mark lui demanda comment neutraliser la pierre, il rit en lui désignant la pierre. La pierre était désormais fissurée sur toute sa longueur et avait perdu son éclat rouge, comme si sa puissance magique s'était évanouie. Eowyn prit la pierre dans les mains et une partie de la fissure se combla. La pierre sembla même rougeoyer un peu.
Il s'agissait d'un sort de Haute Magie : Ils étaient tous les six les propriétaires de la pierre et c'était leur volonté commune de voir la pierre neutralisée qui annulait temporairement les capacités d'action de la pierre. Ils étaient stupéfaits d'avoir réussi à utiliser une magie aussi complexe avec leur maigre expérience. Nicolas Flamel leur expliqua que leurs esprits étaient véritablement connectés. Malgré leurs différences, chacun tirait avantage des qualités des autres : leur équipe était une entité magique à elle toute seule. C'était cette entité qui, forte de l'addition de tous leurs pouvoirs, leur avait permis de créer ce sortilège.
Il leur expliqua aussi qu'il leur faudrait trouver une solution avant leur mort, sinon la pierre redeviendrait active. Katherine émit à nouveau l'idée de la détruire à ce moment-là, inquiète des conséquences que l'utilisation de la pierre pourrait avoir. Yohan lui rappela gentiment qu'une des propriétés de la pierre était de soigner les blessures mortelles, argument qui fit mouche auprès de l'étudiante infirmière. Mark demanda comment réaliser l'élixir de longue vie à Nicolas qui lui répondit en souriant qu'ils allaient devoir le découvrir par eux même. Il leur conseilla également de ne révéler à personne le contrôle qu'ils avaient sur la pierre.
—Et vous ? le questionna Eowyn. Qu'allez-vous devenir Nicolas ?
Il réfléchit un instant en se caressant la barbe, puis répondit :
—Je vais enfin savoir où mène la continuité de la vie. La dernière énigme que je vais résoudre.
—Et s'il n'y a rien ?
—Oh mais ma chère, j'ai suivi les progrès de la science de loin. Je connais l'existence du cycle du carbone, le rôle des décomposeurs et l'existence des réseaux alimentaire. Rien ne disparait, tout se transforme ! C'est déjà quelque chose si ma vieille carcasse peut réintégrer un cycle dont elle n'aurait jamais dû s'écarter aussi longtemps.
—Vous n'avez donc pas peur ?
—J'ai eu peur que vous ne veniez jamais ! J'ai eu peur de ne jamais pouvoir avancer. Ça, c'est véritablement effrayant ! En fait, maintenant j'ai hâte d'avancer et vous, vous devez rentrer chez vous. Mais avant, je vous propose de vous reposer quelques heures et de déguster le repas préparé par notre ami Adrien.
Quelques temps plus tard, Nicolas Flamel les conduisit à l'intersection de la grotte et de la terrifiante forêt, qui en réalité n'était plus si effrayante, tout juste malfaisante. Ils eurent tôt fait de retrouver la civilisation et bientôt, se tirent devant la reine, qui regretta l'inutilité de la pierre philosophale, mais reconnu l'exploit des jeunes gens. Le prince d'Emeraude à ses côté fronçait les sourcils. Il regardait tour à tour les six amis scrutant leur visage, à la recherche d'une information qu'il ne trouvait pas. Katherine, qui avait remarqué son manège avait lu dans ses pensées et leur avait expliqué que, comme Adrien, le prince était doué d'une sorte d'intuition. Il savait que les jeunes leurs cachaient des choses, mais fort heureusement, il ne s'était jamais approché de la vérité.
La pierre philosophale fut placée au coffre, mais les jeunes sorciers cachèrent l'existence du retourneur de temps, qui pourrait conduire certains sorciers, dont le prince d'Emeraude, à leur secret. La reine et le prince, bien qu'intrigués par la façon dont les jeunes gens avaient trouvé la pierre, se contentèrent de l'explication de la combinaison d'une vision d'Eowyn, des capacités de médium d'Adrien et de beaucoup de chance. La reine des fées avait accepté de les couvrir en racontant à un envoyé de la reine qu'elle avait entendu une rumeur sur une pierre dans une grotte et qu'étant donné qu'il s'agissait d'une histoire de sorcier, elle l'avait confié à des représentants de cette communauté : les six gardiens.
Une conséquence heureuse de cette aventure, fut l'entrée officielle d'Adrien dans l'équipe. Non plus en tant que simple observateur, mais en tant que membre novice, ayant démontré que ses capacités magiques étaient bien utiles au groupe. La seconde conséquence, fut que le prince d'Emeraude leur confia pour mission officielle de retrouver les trésors magiques perdus.
***
Dans le Vieux Monde, une autre épreuve attendait Eowyn et Adrien. La jeune femme lui avoua que son père voulait le voir dès leur retour de Valinor. Pas sûr de comprendre, Adrien lui fit répéter. Elle lui répondit en soupirant que son père était au courant pour l'existence de Valinor et de la magie. Il savait qu'ils étaient tous les deux des sorciers et qu'il était fâché qu'Adrien soit son élève.
Adrien avait un flux de questions qui passait devant ses yeux, mais était incapable de prononcer un seul mot. Eowyn lui prit alors la main et ils s'en allèrent en direction de la maison d'Eowyn. Elle enleva ses chaussures et le dirigea vers le salon dont la lumière était allumée. Le père d'Eowyn était assis dans un fauteuil de cuir marron. Adrien prit un fauteuil face à lui après qu'il l'eut invité à s'assoir. Eowyn s'installa dans le canapé adjacent.
—Je vais aller droit au but, je n'approuve pas votre relation ! fit l'homme, le regard sévère.
—Je m'en étais douté à votre regard lors du dîner, répondit prudemment Adrien.
—A ce moment-là, j'ignorais que vous étiez un élémental du feu inexpérimenté et dangereux !
—Papa ! s'exclama Eowyn, indignée. Il se contrôle très bien. Il a réussi à contrôler le feu pendant quatre ans sans mon aide !
—Alors il peut se débrouiller pour reste sans ton aide aussi !
—C'est interdit et tu le sais très bien ! Il doit avoir un maitre en magie.
—Il peut te blesser à n'importe quel moment ! Et puis, ce tutorat est ridicule. Tes études passent avant tout !
—Mes notes, notamment en mathématiques, n'ont cessé d'augmenter depuis qu'il est là. On travaille en équipe et on est efficaces !
Son père changea de couleur, mais son ton resta égal, quoiqu'un peu plus sec :
—Tu vas cesser de lui donner des cours en magie !
—Non !
—Un jour, cela finira mal !
—Qu'est-ce que tu es sais ? On est prudents !
—Ta mère aussi l'était… jusqu'à ce que cela dérape avec son élève.
Eowyn ouvrit brusquement la bouche, ahurie.
—Maman ?! s'étrangla presque Eowyn. C'est une sorcière ?
—Elle est une autre personne désormais. La magie ne fait plus partie de sa vie… et c'est mieux ainsi… Si tu ne veux pas changer, devenir une autre personne, renonce à lui enseigner.
Il désigna Adrien du doigt, mais Eowyn voulait en savoir plus.
—Qu'est-ce qui lui est arrivée ?
—Je ne veux pas te le dire.
—Je me suis déjà engagée papa, je ne peux pas renoncer.
—Je te l'interdis !
—Tu n'en as pas le droit ! Je suis majeure à Valinor. C'est mon choix et tu dois le respecter.
Son père serra les poings. Elle craint un moment qu'il ne lui interdise aussi de voir Adrien, mais il finit par se radoucir, l'air vaincu.
—Je ne veux pas te perdre toi aussi.
—Tu n'as pas perdu maman…
—Si, en quelque sorte. Sa mémoire volage vient du fait que tout ce qui a trait à la magie s'est évaporé de ses souvenirs, y compris notre première rencontre et notre mariage… La magie faisait tellement partie de nos vies que désormais, elle est une coquille à moitié vide dont la personnalité est complètement différente. Elle était si vive d'esprit, si intelligente, une encyclopédie magique à elle toute seule. C'était trop douloureux de partir à Valinor sans elle, alors j'y ai renoncé. Je savais que tu avais commencé à utiliser la magie alors j'ai demandé à un ami de ta mère de veiller sur toi.
—Maitre Guillaume ?
—Oui… C'est lui qui nous a aidés, au moment de l'incident. Il m'a tenu au courant de ton évolution. Je suis tellement fier de toi pour ta promotion dans l'armée d'Emeraude.
—Alors il a dû te dire aussi que nous avons été distingués grâce à Adrien…
—Il a dû m'en souffler un moment, grogna son père, soudain bougon. Très bien. Je te fais confiance. Je vous fais confiance.
Adrien, qui s'était tenu en retrait durant l'échange se leva et se dirigea vers lui, lui tendant la main. L'homme se mit sur ses pieds et prit la main du jeune sorcier qui dit :
—Je la protègerai monsieur. Je sais qu'elle a plus d'expérience en magie.
Il rougit à cet aveu.
—Mais je ferai mon possible pour la mettre à l'écart du danger. Je suis à l'écoute de ses conseils, car ils sont avisés. Elle est très prudente et prend à cœur son rôle de modèle. La sécurité passe avant tout et je ne ferai rien volontairement qui puisse luis causer des blessures.
L'œil du père d'Eowyn brilla d'un coup et il demanda à parler en privé à Adrien. Eowyn les laissa à contrecœur, souhaitant une bonne nuit à son petit ami. Le père de la jeune femme tendit alors une boîte à bijoux en carton à Adrien. Celui-ci en sortit une pierre d'un bleu très foncé, presque noir. Il reconnut la pierre qu'Eowyn portait autour du cou ces derniers jours. Elle avait dit que c'était un cadeau de son père : une azurite.
—C'est une pierre de communication. Si vous avez besoin de me contacter, même ici, dans le Vieux Monde, je le saurais. Porte-la sur toi en permanence. Et prends soin de ma fille.
—Oui monsieur, je vous le promets.