Mark se leva d'un bond.
— Nous ne sommes pas responsables de cette attaque.
— Nous le savons, le rassura Axel. Nous connaissons vos odeurs et celle que nous avons perçue sur les lieux est très différente. C'est un sorcier que nous n'avons jamais rencontré.
— Comment va Ernest ? s'enquit Katherine.
— Il a un peu mal à la tête, mais il s'en tire bien, fit Axel en souriant.
— Très bien, quand on connaît le passif de cette lame, corrigea Maître Guillaume. Celui qui s'est emparé du sabre, a usé de violence et de fourberie en attaquant dans le dos Ernest. À n'en pas douter, la lame réclamera du sang désormais.
— Avez-vous une idée de qui a pu vous voler le sabre ? demanda Eowyn.
— Nous en avons discuté avec ton maître, nous pensons qu'il s'agit d'Edward. Il a dû vous suivre jusqu'à notre campement et aura attendu que le sabre soit moins gardé pour s'en emparer.
— Mais, s'il nous a suivi, intervint Yohan, il sait que le test est caduc.
— Les traqueurs ne réagissent pas comme la plupart d'entre nous, Yohan, dit Maître Guillaume d'une voix douce. Ils aiment avant tout relever des défis. Renoncer ne fait pas partie de leur vocabulaire. On lui a demandé de ramener un sabre, il le ramènera coûte que coûte.
— Quitte à laisser de côté l'éthique professionnel… compléta sombrement Jonathan
— Cela s'est effectivement déjà produit par le passé.
— À qui doit-il le ramener, Maître ? demanda Eowyn.
— A Théodore.
— Il faut y aller tout de suite ! Il faut le prévenir !
— Du calme, mon enfant !
— Mais…
— Axel était accompagné de Grégoire et Amélie. Sitôt qu'il m'a fait part de la mésaventure d'Ernest, nous avons envoyé ses deux amis porter un message à Théodore. Il doit déjà être en train de contacter Edward afin de lui notifier l'abandon du test.
Il se tourna vers le loup garou.
— Décidément, je te cause bien des soucis, mon ami. Je suis désolé pour ton cadeau. Je te le ramènerai.
— Ne t'inquiète pas, va ! Tu me revaudras ça un de ces quatre ! lui répondit Axel en haussant les épaules avec désinvolture.
À ce moment-là, des pas précipités résonnèrent dans l'allée et deux individus déboulèrent dans le manoir. Les silhouettes d'Amélie et Grégoire apparurent sur le seuil du salon. Leur chef sauta sur ses jambes, se précipitant vers eux.
— Qu'y a-t-il ? Grégoire ?
— Théodore… Il… On est arrivé trop tard.
— Comment ça ?
— Quand on nous a amené à son bureau, on l'a trouvé dans une mare de sang, se tenant le flanc. On l'a poignardé !
Ils se regardaient tous interloqués. Amélie continua :
— Heureusement, On est arrivé juste après l'agression et il n'est plus en danger. Mais je dois vous prévenir, il n'est pas en état de répondre à des questions. Les médecins ont décidé de le plonger dans un coma artificiel tellement il souffrait. Parmi tous les mots incompréhensibles qui sortaient de sa bouche, on a juste pu entendre « rat » et « fou ».
Pour la première fois, Maître Guillaume sembla ébranlé, perdant de son aplomb, choqué par les révélations des deux loups garous. Puis son regard s'assombrit.
— Eowyn ?
— Maître ?
— Nous devons retrouver Edward. Une lame de Muramasa a, par nature, soif de sang et maintenant qu'elle y a goutté, elle réclamera son dû régulièrement.
— Comment doit-on procéder ? Je suppose que l'armée est déjà sur le coup.
Amélie et Grégoire acquiescèrent. Le vieil homme commença à faire les cents pas en marmonnant dans sa barbe.
— Il faut réfléchir comme lui.
— Oui, imaginons qui sera le prochain sacrifice idéal, ironisa Jonathan.
Maître Guillaume releva la tête brusquement.
— Tout à fait !
— Je plaisantais… fit Jonathan.
— Pas moi ! Il a poignardé son capitaine pour une raison. Théodore comptait abroger le test dès le moment où vous avez découvert les médaillons. Imaginons qu'Edward se soit présenté devant lui avec le sabre et que Théodore lui ait dit qu'il devrait repasser un autre test… Normalement, seul le résultat est pris compte et on recherche rarement comment les traqueurs sont parvenus à leur fin. Mais il ignorait que vous aviez contacté Théodore, qui a dû en arriver à la même conclusion que moi : Edward, vous a laissé trouver les médaillons pour faire le travail à sa place, ce qui est interdit par le règlement. Edward a dû se mettre en colère trouvant la décision injuste, après tout, il avait ramené le sabre comme prévu, et il a poignardé Théodore avec le sabre. À qui va-t-il s'en prendre maintenant ?
— À ceux qui ont rendu le test caduc, nous ? proposa Yohan en frissonnant.
— Non, murmura Adrien. Il va vouloir rendre la justice à sa façon.
— Je crains que tu n'aies raison Adrien, acquiesça Maître Guillaume. Il va chercher des gens qui crient à l'injustice et essayer de les venger. Il doit se voir en justicier hors-la-loi.
— C'est impossible pour lui de réussir! fit Alex en secouant la tête. D'abord, il y a beaucoup trop de personnes dans ce cas. Et puis, comment va-t-il les amener à se confier ? Il faut aussi qu'ils aient suffisamment de haine en eux pour souhaiter la mort de l'objet de leur grief.
— Il y en a beaucoup qui répondent à cette description, murmura Adrien, et ils sont pour la plupart rassemblés au même endroit…
— La prison, ajouta Eowyn en un souffle.
***
Ils se précipitèrent vers la prison du royaume : Sandamar. L'autorité reconnue de Maître Guillaume convainquit le directeur de la prison de le recevoir. Celui-ci se renseigna auprès du commandant de l'armée d'Émeraude, qui confirma la version du vénérable maître d'armes. Le directeur assura qu'il ferait doubler la garde et interdirait les visites de prisonniers jusqu'à ce que le sorcier déséquilibré soit arrêté.
Adrien écoutait d'une oreille distraite Maître Guillaume rapporter son entrevue. Il était de plus en plus inquiet sans savoir pourquoi. Il avait l'impression étrange et contradictoire d'être dans la bonne direction pour trouver Edward, mais de ne pas prendre le bon chemin. Eowyn commençait, elle aussi, à douter. Plus ils y pensaient, plus il paraissait hautement improbable qu'un Traqueur, tout fou qu'il soit, ait la capacité de passer la sécurité de Sandamar… Où chercherait-il alors ses « victimes innocentes » ? La réponse leur arriva comme un boomerang : dans une autre prison !
— Oh non ! chuchota Katherine, qui avait suivi leurs réflexions en écoutant leurs pensées. Il ne se montrerait pas à des non-sorciers, quand même ?!
Tous les regards se tournèrent vers elle.
— Il ne se préoccupe plus de ce genre de considérations, fit remarquer Yohan. Sa carrière de Traqueur est terminée. Il se sait sûrement recherché. Il a compris qu'il finira enfermé tôt ou tard et le sabre le pousse à commettre des crimes. Il n'a plus rien à perdre et essayera d'apaiser son mal-être rapidement et efficacement. Il est facile de pénétrer et de sortir d'une prison « classique » pour un sorcier. Il y trouvera facilement quelqu'un à la rancune suffisamment tenace pour souhaiter la mort d'un autre.
— Oui, dit Maître Guillaume en caressant sa barbe, vous avez raison. Maintenant, il faut définir où chercher.
— Attendez une minute, Maître ! intervint Adrien.
— Oui ?
— Nous sommes coincés à Valinor encore un jour et demi n'est-ce pas ? Nous, mais lui aussi…
— Tu as raison, nous avons encore quelques heures devant nous pour le trouver dans notre monde. Mais où le chercher ? La personne qui le connaît probablement le mieux est dans le coma.
— Il a bien des camarades de promotion, non ? demanda Katherine.
— Les écoles de Traqueurs ne … ressemblent… pas à votre école militaire les enfants, dit Maître Guillaume en hésitant sur les mots à employer.
Il soupira, s'asseyant sur un banc. Ils se trouvaient dans un des parcs de la Citée Blanche à proximité de la prison du Royaume. Soudain, il eut l'air très vieux, semblant accuser le coup. Il reprit :
— Les Traqueurs travaillent en solo, alors que vous, vous avez été formé à travailler en équipe. Le recrutement même des Traqueurs sélectionne des individus indépendants, pour la plupart sans attaches, car il peut se passer plusieurs mois avant qu'une cible soit repérée. Aucune distraction n'est tolérée, que ce soit de la famille ou des amis. Il est alors fréquent qu'un Traqueur ne se lie avec aucun membre de sa promotion. Ce sont des solitaires, qui aspirent avant tout à relever des défis. Pour la plupart, l'aspect humain de leur mission est secondaire. Ils évitent de commettre des délits ou des infractions le plus souvent parce que cela risque de les empêcher d'accéder à leur cible. Les dérapages sont fréquents cependant.
— Attendez ! l'interrompit Jonathan. Vous voulez dire que les autorités savent le danger qu'ils représentent et que l'on continue de les recruter et de les former ?!
— Les Traqueurs nous sont indispensables pour retrouver les créatures surnaturelles qui menacent le secret de notre monde. Vous !
Il désigna les cinq sorciers à côté d'Adrien.
— Vous devrez intervenir une fois le danger localisé. Qui s'occupe de cette tâche à votre avis ?
— Les Traqueurs… termina Eowyn.
— Précisément, mon enfant.
— Quelle est la nationalité d'Edward ? demanda Adrien.
— Anglais, répondit Maître Guillaume. Oui, il serait logique qu'il se tourne vers des prisons dont il connaît la localisation. Bien vu !
— Mais ici ? interrogea Mark. Où se réfugiera-t-il ?
— À un endroit où même les meilleurs Traqueurs ne le trouveront pas, intervint Adrien.
— Les Terres Sauvages… murmura Eowyn. Des milliers de kilomètres à ratisser… Impossible en trente-six heures!
— Quel est son élément ? demanda Mark.
— La Terre, répondit Maître Guillaume, prenant la main que Mark lui tendait pour se relever, profitant en même temps de ses réflexions. Il aura tendance à se diriger vers un milieu où il se sent en sécurité : une grotte … ou des mines… Oui, c'est une excellente idée Mark ! Il a pu retourner dans les mines à côté de la Vallée des Loups Garous.
— Oh non ! gémit Jonathan. Ne me dites pas qu'on va devoir y retourner ?
Il croisa les bras sur son torse.
— Il faudra m'y traîner de force…