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Chapter 14 - Candeur

Affolée par la chute inquiétante de Sin, Lissandra se précipita dans l'arène pour le rejoindre.

— Me-Messire !

Elle glissa sa main à travers son armure pour prendre son pouls. Sa peau était glaciale, mais il était vivant. Il s'était juste évanoui.

Il… Il n'a rien... pensa-t-elle avec soulagement.

— Pas de panique, déclara Fenris d'un ton décontracté. La capacité de transformation qu'il a employée consomme beaucoup de mana. Il subit simplement le contrecoup de cet excès. Par contre, il semble avoir été blessé lors de sa projection, il faudrait vérifier s'il n'a rien de grave...

— D'où lui vient cette capacité dont tu parles ? demanda Artoria en se rapprochant à son tour. Je n'ai encore jamais vu une telle chose !

Le loup esquiva cette question et tendit une potion de mana à l'élémentaliste avec sa gueule :

— Tiens, fais-lui boire ça. C'est compliqué pour moi qui n'ai pas de main !

Artoria se montrait impatiente devant le silence que son interrogation suscita. Cependant, elle se ravisa aussitôt lorsque son regard émeraude croisa celui de Fenris.

— À quel point une humaine dans ton genre peut-elle être si désagréable ?!

— Hé ! Je ne fais que demander ! s'exclama-t-elle avec agressivité.

Il arbora de nouveau une expression détendue et prit un ton qui l'était tout autant :

— Je ne suis pas censé vous donner cette réponse, car elle vous dépasserait totalement. 

Mais après une courte réflexion, il fit un soupir de résignation :

— Mais étant donné que vous semblez enrôlées dans ce foutoir, je vous raconterai une partie de ce que je sais…

Les deux aventurières ne comprenaient pas où le loup géant voulait en venir. Celui-ci préférait les laisser dans le flou pour l'instant.

Bon sang, c'est toujours moi qui me tape le sale boulot ! Cette vieille sorcière me le paiera ! pensa-t-il d'un grognement discret.

— Avant tout, occupons-nous des trophées, ajouta-t-il pour mettre un terme à la discussion.

Sur ces paroles qui n'annonçaient rien de bon, il tendit une dague à Lissandra en exprimant un sourire carnassier.

— Tiens, fillette. Tu vas pouvoir t'endurcir un peu !

— Que… Quoi ?! P-Pourquoi me donnez-vous cela ?!

Artoria soupira à son tour avec nonchalance :

— Tu n'as pas encore appris ça ?! Nous autres aventuriers ne gagnons pas uniquement notre vie avec les primes de quête. Nous prélevons aussi des matériaux sur les créatures… Cela rapporte gros et nous permet d'avoir de quoi fabriquer de nouvelles armes et tenues.

C'est vrai, ma question était stupide... Le mana se cumule dans certaines parties de leur corps comme la peau, les dents ou les cornes par exemple. On a beau me l'avoir enseigné, j'en oublie parfois l'essentiel… songea Lissandra qui n'avait pas pensé à ce détail pertinent.

Les aventuriers vivent en partie des butins qu'ils obtiennent lors de leurs chasses, des primes d'extermination ou encore des récompenses de mission. Néanmoins, la violence n'est pas omniprésente. Les plus pacifistes d'entre eux gagnent leur vie en récoltant des ressources comme les herbes ou les minerais sans avoir à tuer quiconque. 

— D'accord… répondit Lissandra d'une expression étourdie.

Malgré cela, l'élémentaliste semblait anxieuse à l'idée de salir davantage sa tenue. Son expression, simple à cerner, fit aussitôt réagir Fenris d'un ricanement moqueur :

— Ha ha, n'aie pas peur de tacher ta robe ! Et à ce propos… tu ne devrais pas partir à l'aventure avec si peu de protection ! 

— C'est que…

— Pas de discussion ! Pour la peine, je t'emmènerai dans une boutique pour en acheter quand nous serons de retour ! 

— Euh… Hé bien… avec plaisir, Grand Esprit ! acquiesça-t-elle sans l'impression d'avoir le choix.

— Fenris.

— "Fenris" ?

— Hé bien, je te donne le privilège de m'appeler par mon véritable nom.

Son inquiétude se dissipa et un large sourire se dessina sur le visage de Lissandra en entendant cette faveur.

— D'accord, Sire Fenris !

— Sire ?! Tu es bien la première personne à me dire ça !

— Il faut croire qu'elle a plus d'éducation que toi, riposta Artoria avec sarcasme.

Après cette discussion, l'élémentaliste partit gaiement - et avec un naturel quelque peu déconcertant - démembrer les cadavres des créatures gisant au sol. 

Pour les démons de ce genre, les aventuriers récupèrent en général les crocs, qui sont prisés pour l'alchimie, et les oreilles, en guise de preuve d'extermination. Avec de la chance, il est même possible de trouver d'autres matériaux sur les dépouilles. La plupart des gobelins ont d'ailleurs un goût prononcé pour les objets précieux.

Fenris reprit le cours des opérations comme l'aurait fait un chef de groupe :

— Artoria, cherche les cornes de l'ogre. Elles ont dû voler quelque part dans la pièce. Lissandra, ramasse les morceaux du cristal que Sin a arraché.

— À quoi nous servira-t-il dans cet état ? demanda cette dernière avec curiosité.

— Ce sera pour toi. Quand je pense que cet idiot l'a brisé plutôt que de le conserver... Mais peu importe ! Avec un bon coup de polissage, cela te fera une nouvelle amulette.

— Il... Il n'est pas trop endommagé ?

Fenris observa avec attention les fragments écarlates dans la main de l'élémentaliste.

— Vu qu'il était assez gros, je connais un nain aguerri qui pourra s'en charger sans problème ! 

Alors qu'il débattait sur le butin délabré qu'ils avaient récupéré, les plaintes d'Artoria se firent entendre jusqu'à eux :

— Ces foutues cornes sont introuvables ! bougonna-t-elle en errant dans l'immense arène.

— Hé bien, fais plus d'efforts alors ! s'écria Fenris d'un ton impitoyable.

— Vous… Vous êtes un peu dure avec elle... murmura Lissandra.

— Cette femelle semble pourrie gâtée. Il faut bien que quelqu'un la mette au diapason, murmura-t-il à son tour.

Une certaine complicité naissait déjà entre la jeune fille et lui.

C'est étrange... Je trouve cette petite humaine attachante et très agréable à vivre. Elle me rappelle cet idiot... Ça ne lui plaira sûrement pas, mais...

— Dis-moi, fillette ?

— Oui ?

— Tu débutes ta carrière d'aventurière, n'est-ce pas ?

— Euh… Hé bien, oui... Je me suis inscrite ce matin... P-Pourquoi ?

Même s'il se doutait de ce fait, il arbora une expression déconcertée et ricana :

— OH… On peut dire que tu es vraiment une humaine poissarde alors !

Lissandra resta muette. Elle rougissait, gênée par cette réflexion.

— Malgré ce qui s'est passé aujourd'hui, tu comptes poursuivre ton aventure ? demanda-t-il.

Elle reprit un air grave, puis médita un instant avant de répondre :

— Je… Je ne sais pas… Ce n'est pas la première fois que je vois des gens mourir... pourtant je ne m'attendais pas à ce genre d'horreur.

Elle commença à déambuler, puis leva les bras.

— Mais ça ! Ce donjon, ces créatures rares, tous ces mystères… Je trouve ça… Excitant ! s'exclama-t-elle avec passion. 

Lissandra laissait paraître une facette d'elle qui dénotait visiblement avec ses airs timides et introvertis. Fenris était par ailleurs surpris de cette réponse extravagante : 

Je m'attendais à tout sauf à ça... Elle est un peu tarée à sa façon.

Après avoir assimilé les émotions qui se dégageaient du visage de l'élémentaliste, il riait intérieurement.

Frigga a toujours eu le don pour repérer ce genre de potentiel… Ça me fait mal de l'avouer, mais c'est quelque chose que j'apprécie chez cette fichue sorcière.

— Si cela te plaît tant, que dirais-tu de nous rejoindre ? proposa-t-il sans détour. J'ai remarqué ton côté érudit. Il se trouve que nous nous intéressons également aux mystères de Midgaïa.

— Vrai… Vraiment ? bégaya-t-elle, prise de court par cette requête spontanée.

— Bien sûr ! Ce sera dangereux, mais sûrement plus "excitant" que la simple vie d'aventurière que tu conçois.

— Je… Je ne sais pas. J'ai… J'ai une quête personnelle que je dois mener à bien. Je ne voudrais pas vous ralentir...

À moins que l'apparition de cet ogre soit juste une coïncidence, on ne peut pas dire que nous croulons sous les activités en ce moment, pensa-t-il avec une certaine ironie.

— Nous pourrions t'aider, nous n'avons pas vraiment d'occupation ces temps-ci.

Elle fondit en larmes et sauta au cou du loup géant, caressant sa douce fourrure grisâtre comme si elle faisait un câlin à une grosse peluche.

— Oh là ! Ça va aller ?!

— D-Désolé… C'est que... je suis tellement heureuse que vous me demandiez cela !

Devant cet excès d'innocence, Fenris la laissa assouvir ses pulsions enfantines sans rechigner : 

Hé bien… Après tout ce qu'elle a vécu aujourd'hui, je veux bien croire qu'elle ait besoin de relâcher un peu la pression…

Après cette courte étreinte, Lissandra se tourna vers le chevalier avec une nouvelle inquiétude :

— C-Comment va-t-on faire pour le ramener ? Doit-on attendre qu'il se réveille ?

— Tu parles de Sin ? Hmm… Je dois t'avouer que je pourrai le porter sur mon dos. Mais vu son état… je préfère encore ne pas me salir ! répondit Fenris, tout en observant l'armure de son compagnon couverte de fluides noirs et visqueux.

L'élémentaliste médita à son tour jusqu'à ce qu'une pensée simpliste lui traverse l'esprit :

— Je… Je possède l'affinité d'Eau ! Je… Je devrais pouvoir arranger cela !

— Pas la peine, je plaisan…

Alors que le loup géant ravalait ses dernières paroles, conscient que la jeune fille ne possédait pas un sens aiguisé pour l'ironie, celle-ci fonça tête baissée. Elle se dirigea vers Sin et tendit ses mains au dessus de lui pour incanter un sortilège :

Ô Ondine… Bénis-moi de ton eau paisible et purifie l'armure de ce héros… Aqua Purigare…

À son énoncé, une brume grossière se répandit sur le chevalier. Tout d'abord volatile, elle se condensa progressivement en un liquide qui récura son équipement avec une impressionnante efficacité. Ce simple détail amusa Fenris :

 — Lui qui ne prend jamais soin de ses affaires, on peut dire que tu pourras l'aider sur ce point !

Cette réflexion fit rougir Lissandra, mais elle comprenait qu'il s'agissait cette fois-ci d'un compliment. Heureuse de pouvoir se rendre utile, elle observa de nouveau Sin et remarqua que ce dernier était prit de légers spasmes :

— P-Par contre… Je… J'espère que ma magie ne le fera pas tomber malade…

— Oh, tu parles de ça... Ne t'en fais pas ! aboya Fenris avec assurance. Il a juste un sommeil agité de nature.