« Aujourd'hui dans notre chère ville, tout comme hier et depuis plusieurs jours, la chaleur continue à s'installer. Cela confirme nos inquiétudes. C'est un épisode caniculaire sans précédent. Je vous demande donc de bien vouloir vous protéger. Des informations vous seront transmises dans les plus brefs délais pour vous aider dans ce sens. Comme vous le savez, nous n'avons jamais connu un été aussi chaud, ni même d'ailleurs expérimenté une quelconque chaleur dans cette région.
J'ai le regret de vous annoncer que mon message est d'autant plus important aujourd'hui que la situation s'est aggravée pour vous et moi, chers concitoyens. Par le climat naturellement froid de notre espace, qui nous a empêchés de connaître la chaleur jusqu'à maintenant, ce pic dans les températures a des conséquences fondamentales sur notre environnement et sur nos manières d'évoluer en son sein. Mais il a également, et il m'attriste énormément de l'affirmer, un impact sur notre santé, en particulier notre santé psychologique.
En effet, les hôpitaux de la région, ainsi que les spécialistes de renom qui y travaillent d'arrache-pied depuis le début de cet épisode caniculaire continuent d'en découvrir les dangers. Je vous annonce que dernièrement, de nombreuses personnes ont été diagnostiquées de troubles de la mémoire, dus au choc corporel de cette chaleur, pour nous habitants de cette région qui en avons si peu l'habitude.
Nous parlons ici de pertes de mémoire qui touchent tous les âges. Les souvenirs peuvent être lointains, comme par exemple concerner l'enfance, comme moins anciens, par exemple, depuis le début de la vague de chaleur du début de l'été. Vous n'êtes pas sans savoir que les conséquences des pertes de mémoires sont extrêmement importantes pour les individus qui en souffrent, mais également pour les personnes qui les entourent. Aussi, et c'est le but de mon message aujourd'hui, je vous demande de faire particulièrement attention à vous, ainsi qu'à vos proches, et à rechercher de l'aide au moment où vous remarquez un comportement inhabituel, même si vous n'êtes pas sûrs.
Je terminerai par insister une dernière fois sur l'importance de vous protéger, vous et vos proches. Même si ces effets de la forte chaleur restent aujourd'hui des cas spéciaux, ils existent, et nous ne connaissons pas encore toute leur portée.
Je vous remercie de votre attention. »
La femme était assise dans son fauteuil abîmé, le dos bien droit comme subjuguée par le maire qui parlait en continu dans l'écran devant elle. La télévision représentait la seule source de lumière de ce salon étroit. L'ampoule restait faible dans la lampe à côté d'elle. Elle n'éclairait presque plus rien, mais elle n'avait pas pris le soin de la remplacer. A côté d'elle, un vieux canapé verdâtre usé restait inoccupé. Elle était sûre que personne ne se trouvait près d'elle. Elle n'avait pas vu son fils posté derrière, appuyé dans l'encadrement de la porte coulissante, les bras croisés sur son torse comme lassé d'une scène déjà vue.
L'adolescent répétait la matinée qu'il vivait depuis plusieurs jours. Tous les matins avant de partir au lycée, il observait sa mère regarder sans discontinuité la télévision. Il restait près d'elle comme ça pendant quelques minutes, sans qu'elle ne le voie. Depuis l'incident, il n'arrivait pas à lui parler, ni même à la laisser le regarder. Ils ne se croisaient que très rarement dans l'habitation, quand la femme était contrainte de se lever.
Depuis sa rentrée en septembre, Nino se levait tous les matins aux aurores, à l'heure à laquelle son père partait travailler. Il réalisait d'abord toutes les corvées domestiques, son père étant absent et sa mère non volontaire. Il quittait ensuite sa maison et arrivait plus tôt au lycée que la plupart des élèves. Il s'en allait de chez lui dès que possible après s'être dépêché de finir ses tâches et de s'être assuré que sa mère n'avait pas bougé. Il ne se souvenait plus avoir entendu autre bruit dans sa maison que le maire parler de la canicule, alors il voulait y échapper le plus rapidement possible. Ce matin-là, cela faisait deux semaines que la rentrée des classes avait eu lieu. Nino avait retrouvé ses meilleurs amis Douglas et Lola dans la salle de classe de sa première heure de cours.
«
- Tu veux pas arrêter un peu de la regarder, mec ? Lui lance son meilleur ami Douglas sur un ton piquant.
Nino sursauta et détourna en vitesse son regard d'une de leur camarade de classe.
- Hein ? Euh, mais non, je regardais le radiateur là-bas, je pensais à l'été qu'on venait de vivre, truc de fou hein ? inventa-t-il en riant nerveusement et tentant de changer de sujet.
- Ouais, reprit Douglas perplexe, c'est vrai qu'il est beau le radiateur, je te comprends.
Alors que Nino essayait de rattraper son ami pour le punir de l'embêter quand il se levait pour aller voir leur professeure, leur amie Lola les rejoint :
- De quoi vous parlez, les garçons ?
Douglas, qui était allé rendre un livre, commença à lui répondre d'une voix forte au milieu de la classe :
- Oh rien, tu sais, the usual, juste Nino qui est amoureux de...
L'adolescent se leva d'un bond et sauta sur son meilleur ami juste à temps pour lui mettre la main devant la bouche et l'empêcher de finir sa phrase. La classe entière les remarqua et avait entendu la phrase du garçon. Par habitude, et au vue du fait qu'ils se soient rassis en vitesse la professeure ne se mit pas en colère et commença son cours.
- Désolé mec, chuchota Douglas à côté de son ami, mais ça fait je sais pas combien de temps que t'es dingue de cette fille, fait quelque chose, parce que sinon ça va partir, dit-il en montrant sa bouche. Ça fait trop longtemps que je garde le secret, moi.
Nino lui lança un regard noir.
- Si tu te calmes pas, c'est celle-là qui va partir, lâcha-t-il en soulevant sa main.
- Ok, ok, se renfrogna à contre cœur Douglas. »
Douglas savait pertinemment que son meilleur ami ne lui ferait jamais de mal et il ne supportait pas le voir rester en retrait. Le fait qu'il soit si réticent à se rapprocher d'une fille qui lui plaisait autant et depuis si longtemps le frustrait terriblement. Il se décida donc malgré les avertissements de son ami à passer à l'action. Un petit coup de pouce ne fait jamais de mal, pas vrai ? Avoir besoin d'aide n'est pas une honte, et Douglas était désespérément à la recherche de quelque chose qui mettrait de l'action dans ses journées de cours.