On pouvait distinguer la fumée dans les pénombres comme un brouillard entourant le haut d'une montagne enneigée lors d'une nuit de pleine lune. Il faisait froid, humide, et une odeur perçante de cuivre chaud alarmait les sens. Une vive douleur transcendante traversa le crâne d'Énaloïse depuis la raie du nez jusqu'à la nuque. Elle ouvrit les yeux sans attendre.
Devant elle, un ciel bleu, parsemé de petits nuages fins. Elle sentait l'air doux sur la peau de son visage. On pouvait entendre le bruit des oiseaux chantant et virevoltant aux à l'entour. Elle se redressa, supportant tout le poids de ses os comme un sac de pommes de terre que l'on traine. Son regard s'attarda tout d'abord sur ses vêtements : une robe d'une blancheur éclatante qui descendait jusqu'aux genoux. Des rayures dorées décoraient ses côtés ainsi que ses longues manches. Elle massa son front de ses mains moites, les passa sur son visage, puis sur le lobe de ses oreilles sur lesquelles elle détecta des boucles carrées. La jeune femme se leva afin de mieux observer ses habits. Quand avait-elle changé ses vêtements de soirée pour venir ici ? La tension de ses cheveux serrés en chignon pesait sur son crâne. Son regard balaya les à l'entour avec curiosité. La gorge râpeuse, elle s'efforça d'ajuster sa vision pour l'instant tout aussi brumeuse.
Un cours d'eau calme à la couleur émeraude entourait les lieux. Les arbres environnants étaient emplis de bourgeons. Il y avait plusieurs chemins tracés entre les herbes. Après avoir repris son souffle, Énaloïse entreprit de marcher le long de l'eau en suivant les chemins de pierres rouges. Elle n'hésita pas à dévisager toutes les personnes qui se promenaient sur le passage. Plusieurs d'entre eux étaient vêtus de la même façon : longue robe blanche aux rayures dorées, parfois c'était des rayures vertes ou rouges. D'autres, en plus petit nombre, portaient une tenue brune, la capuche pendante sur les épaules. Son regard croisa celui d'un jeune homme. Il luit sourit tout aussi chaleureusement que brièvement avant de poursuivre son chemin.
Au bout d'un moment, Énaloïse arriva à un grand panneau : « LE 3ÈME TEMPLE DE L'ORDRE DES LUMIÈRES JAUNES », se lisait en en-tête. Elle se retrouvait en fait sur terre-plein, construit au-dessus d'un lac, le lac Lénanc. Ce qui semblait curieux était que ce terre-plein gigantesque avait une drôle de forme géométrique : une grande étoile constituait son milieu, un endroit nommé "La Gliffa". Celle-ci semblait être connectée à cinq autres terre-pleins en forme de triangle à ses extrémités. Ces structures en de formes triangulaires étaient eux-mêmes interconnectés par un chemin circulaire qui entourait la Gliffa. Par ce chemin, il était possible d'arriver aux limites du lac pour rejoindre la ville.
Après avoir marché près d'une vingtaine de minutes vers le centre du terre-plein, elle tomba sur une large bâtisse argentée. La glace qui constituait cette curieuse infrastructure réfléchissait la lumière du jour. Une foule était déjà sur place. Certains étaient assis au sol sur l'herbe propre et éclatante. D'autres se tenaient debout. Tout le monde était vêtu de ce même costume qu'elle portait, avec des bandeaux parfois différents.
- Reste tranquille, dit une dame à un enfant agité, ça va bientôt commencer.
Avec curiosité, elle chercha un visage familier. Trouver quelqu'un dans cette foule s'avérait difficile, heureusement Énaloïse entendit crier son nom par une personne au loin. Elle leva les yeux dans la direction de la voix. La jeune fille lui faisait signe de venir. Celle-ci avait de longues boucles couleur paille qui lui tombaient en cascade sur ses épaules couvertes et ses yeux bleus perçants lui donnaient un air de déesse d'un autre monde :
- Tiffany !
- Ena ! dit celle-ci avec un grand sourire porcelaine.
Avec enthousiasme les deux jeunes amies s'embrassèrent. Bien que soulagée, Enaloïse ne pouvait retenir ses larmes.
- Tiffany ! Est-ce que ça va ? lui dit-elle en l'examinant.
- Oui, oui… Est-ce que ça va toi ?
- Oh mon dieu, à toi soirée d'hier, je ne sais pas comment on en est arrivé là …
- Hier soir ? Mais de quoi tu parles ? Tiffany regarda Énaloïse incrédule.
- Où est Klaus, est-ce que tu sais où il est allé ? s'affola Énaloïse.
Tiffany s'approcha et de ses mains, serra fermement les épaules de son amie dans un élan de réconfort.
- Respire, lui dit-elle en séchant ses larmes. Respires…
Énaloïse s'exécuta sous l'exemple de Tiffany.
- Tout va bien…tous va bien.
- Je m'inquiète pour Klaus, je crois, il était vraiment mal en point hier soir. Est-ce... Est-ce qu'il est en vie ? balbutiait Énaloïse se couvrant les lèvres, effrayée par ses propres mots.
- Ça va aller, affirma Tiffany en lui prenant dans ses bras. Tu t'es encore assoupie au bord de l'Aile du Premier Rayon ?
- L'Aile du premier Rayon ? reprit Énaloïse confuse.
- Oui, c'était juste un mauvais rêve, comme d'habitude".
Son amie la relâcha tendrement.
- Comment ça un rêve ? C'était bien réel, on était à la fête chez ton oncle pour célébrer la fin des exams et nous étions tous ensemble au lac. Tu te souviens ? Toi, moi, Yohan et Klaus…
- Écoute, c'est bien la troisième ou la quatrième fois que tu fais ce genre de rêve après t'être assoupie dans l'herbe de l'Aile du Premier Rayon. Je m'en souviendrais si j'avais organisé une fête hier soir ! fit Tiffany d'un air amusé.
Énaloïse se rappela de la scène horrible du corps ramolli, éjecté de Klaus sur le tas de pierres. Tout ce sang qu'il perdait... Elle reprit d'une vois pantelante :
- Mais, mais...Klaus...je cherchais de l'aide, et…
- Klaus va très bien, je t'assure. Il sera bientôt en retour de déploiement...
- Je crois que je me suis évanouie quand tu avais le SAMU au téléphone pour le réanimer.
- Chut ! s'empressa Tiffany. Ça va commencer …
Tout le monde regardait dans la direction du bâtiment central. Le toit de celui-ci s'était ouvert et donnait sur une sorte de scène elle-même rediffusée par les écrans que constituaient les vitres auparavant observées. En effet, ces grandes vitres qui couvraient le bâtiment n'étaient autres que des écrans fonctionnant à l'unisson pour retransmettre la vue sur la scène de plus près. On voyait s'y projeter les individus aux robes très foncées à capuche. Un des hommes s'avança, un micro tamponné à sa joue. Il leva le bras. Un bruit doux de cliquetis retentit. Une cloche. La foule se mit à humer en harmonie. La cloche retentit à deux autres reprises avant de laisser place au silence. C'est alors que tout le monde s'assit dans l'herbe. L'homme qui avait levé le bras, dégluti avant de s'adresser à l'audience :
- Très chers confrères et très chères consœurs, porteurs de lumière...
Cet homme à longue barbe et sans moustache avait l'air d'avoir la quarantaine. Ses yeux sombres était emplis du feu puissant de la foi. Il continua d'un ton solennel :
- Nous allons célébrer notre grande maîtresse Etha Kle'Pmae, première porteuse de lumière, qui est avec nous pendant chacun de nos jours et qui suit nos moindres pas. - Il balaya l'assemblée du regard puis poursuivie : grande maîtresse nous guide dans notre pratique sacrée. Nous lui prêtons serment de porter la lumière qu'elle nous a dévoilée depuis le début de notre aire ! - l'homme levait maintenant le poing au ciel - Merci de nous entourer de ta lumière, de ta chaleur et de faire de nous des êtres conscients. Nous te saluons ! Nous sommes ta progéniture ! Nous sommes porteurs à la vie, à la mort, dit-il les yeux fermés l'air engagé dans sa prière.
- Lumière, pour toujours ! Lumière pour toujours ! À la vie, à la mort ! scanda l'assemblée d'une voix, les poings levés et les yeux fermés.
- Nous te remercions de nous donner la conscience. De par ton feu, les plus chanceux d'entre nous, les Sacrimolytes quittent leurs temples de chair pour emporter leurs lumières à Theryon, où tu nous attends à ton chevet pour te suivre pour l'éternité dans l'autre monde. Nous te remercions pour ton feu !
Toutes les personnes de l'assemblée ainsi tendirent leur visage vers le ciel et ouvrirent grand les mains en prononçant d'une voix et à plusieurs reprises :
- Lumière, pour toujours ! Lumière pour toujours ! À la vie, à la mort !
- Moi, reprit-il les bras ouverts comme pour recevoir la lumière du soleil tapant, Joseph Primae, porteur de ta lumière de par ton sang. Porteur de ton message sacré, jure solennellement conduire les porteurs de lumière selon ta volonté. Les lumières nous guident, Etha'ah Pana.
- Etha'ah Pana ! reprit la foule.
- Ta voix et la mienne ne font qu'un. Je suis serviteur et à la fois maître. Je forme ton dessin sur les habitants de Sayulak, demain, ce quatre mai, nous célébrerons Ravioka! Etha'ah Pana!
- Que les lumières soient ! s'écria une des personnes à ces côtés.
- Et les lumières jaillirent !! rugissait la foule. Etha'ah Pana !
Énaloïse par réflexe avait émis ces dires en murmure. L'air abasourdi, elle chercha du regard une once d'infamiliarité. Le plus bizarre était qu'elle était certaine que l'on était en fin du mois de juin.
La cérémonie dura plusieurs heures. Sur la scène deux autres porteurs avaient prêté serment et animé la Prière. Puis, à la fin, la foule se dispersa. Tiffany la regarda de ces yeux bleus perçants, emplit de bonté. Ses lèvres étaient tirées dans un large sourire :
- Je dois y aller, je dois aider mon oncle à finir les préparatifs pour Ravioka pour demain ! dit-elle en s'éloignant.
Énaloïse se raidit. Trop de questions bouillonnaient. Il était difficile de se focaliser sur une en particulier. Elle aurait préféré rester auprès de Tiffany, sa meilleure amie. Mais non, cette dernière avait visiblement autre chose à faire...
Elle la regarda s'éloigner.
Où aller maintenant ?
Il était de nouveau un peu plus difficile de respirer. Debout, les mains sur les genoux, elle s'efforça de prendre de grandes bouffées d'air. Peut-être que quelqu'un d'autre pouvait l'aider. Elle s'en alla de la Gliffa, pour mieux se rapprocher des extrémités donnant sur la ville. Sur son passage, des bâtiments, peints de blanc et d'acier, qui réfléchissaient la lumière du jour.
En rejoignant l'aile sud, des visages lui souriaient. Elle traversa un jardin triangulaire, où poussaient de jolies plantes violettes, puis arriva au niveau du chemin circulaire du temple. Un panneau affichait "4IÈME RAYON – Sortie à Gauche". Elle poursuivit sa route, puis arriva à un grand pont rejoignant la ville.
- Madame, s'il vous plait" fit un homme en uniforme en l'arrêtant.
- Oui ?
- Viso, s'il vous plait.
Elle leva la pomme de ses mains en signe d'incompréhension. L'homme lui présenta un petit objet ressemblant à un scanner...
- Très bien, dit-il satisfait.
Énaloïse haussa les épaules, puis marcha jusqu'à la ville.
Elle passa quelques pâtés de maisons avant de se retrouver devant une boulangerie où l'arôme apaisante du pain frais lui berçait les narines. Elle s'attarda devant la vitrine avant de se diriger vers la porte voisine. Un code rapide à l'interphone et la porte s'ouvrit. L'ascenseur lumineux s'arrêta au cinquième étage. Instinctivement, elle fouilla les poches de son habit et en tira une paire de clés qu'elle utilisa pour déverrouiller la porte de son appartement.
Elle hésita avant d'entrer, puis pénétra dans la salle de séjour et referma la porte derrière elle. Une atmosphère familière et chaleureuse l'enveloppait. Les meubles qu'elle connaissait bien, recouverts de parures dorées et parfois d'une housse argentée. Le grand tapis mauve dans le salon sur lequel elle adorait s'assoir pour y lire sa Lomia, le livre sacré des porteurs de lumières, la parole véritable d'Etha Kle'Pmae. Porter cet honneur dans ces mains, et avoir le plaisir de le lire tous les jours afin de se réchauffer en paix dans la parole de la Grande Maîtresse. Énaloïse esquissa un sourire.
Des bruits se firent entendre, des petits pas précipités. Un chat blanc aux taches argentées traversa la pièce et bondit aux pieds de la jeune femme.
- Trêpus ! s'esclaffa Énaloïse en retournant les câlins vers la petite créature tout excitée.
Le chat s'étira et ouvrit grand la bouche. Elle se mit à sa hauteur et le prit dans ses bras pour l'embrasser.
- Je suis à la maison ! Tu es trop mignon ! dit-elle d'une petite voie enjouée."
Elle s'en alla dans sa chambre, toujours avec l'animal. Après avoir pris la décision de changer de tenue, elle déposa Trêpus sur son lit puis hotta ses habits de porteuse pour des habits plus confortables et moins solennels.
Elle alla chercher quelques muffins du frigo et se prépara du thé avant de s'asseoir à son bureau. Comme par réflexe, elle passa le poing au-dessus du clavier de son ordinateur portable qui s'alluma aussitôt sur sa session. C'est à ce moment-là qu'elle se souvint de la puce électronique logée dans son poignet : la Viso.
Ce dont avait scanné l'agent de sécurité plus tôt.
Énaloïse engouffra deux des muffins en une bouchée comme une affamée. Elle en avait pris six. Le thé lui réchauffait l'estomac.
Sur le moteur de recherche Tootle, elle tapa l'expression « Porteurs de lumières » : il y avait plusieurs résultats, concernant ce thème... Des sujets de Psychologie Lumineuse, les Saintes Paroles, des sujets d'Histoires… La Première Flamme avait sauvé le royaume d'autre fois en apportant la lumière à la population. Toutes ces âmes creuses et grisées par l'obscurité avaient pu trouver le salut grâce à elle au moment de la révolution de Xéné en l'an 4505 AE.
Ce mouvement religieux avait alors changé la façon dont le monde était réparti. De ses origines, jusqu'alors : où soixante-douze pour cent de la population était devenue porteuse de lumière et vénérait les sept rayons. Plusieurs sous-catégories de porteurs avaient vu le jour, mais ils ne représentaient qu'une faible partie des pratiquants : les Témoins de Juola, qui reconnaissent le rôle important de Juola Kle'Pmae, partenaire de la grande maîtresse dans sa parole, les Antananentis, qui ne reconnaissent ni le quatrième et le septième rayon, entre autres... Les autres religions existantes, jusqu'à des millénaires en temps jadis, voyaient leurs confrères et consœurs s'envoler vers la lumière et se convertir en porteur.
En effet, les Canassins (croyant au sacrifice du fils pour sauver le monde de son père, le Dieu Uoa) et les Arnées (croyants aux dieux du ciel et de l'eau), ainsi que bien d'autres religions qui avaient leur importance auparavant représentaient une très faible partie de la population mondiale. À ce jour, ceux-ci étaient inexistants. Quant au Assénées, ceux qui ne croyaient en rien, peuple replié sur lui-même... eux, on les retrouvait dans leurs villages.
Tout cela faisait bel et bien sens. Parfaitement !
Pourtant, pourquoi avait-elle l'impression d'en être détachée d'une certaine façon ?
Énaloïse était une porteuse de lumière. Elle connaissait l'histoire, les us, les coutumes et les rites… Bizarrement Ravioka ne lui rappelait rien du tout. Cependant, elle l'avait certainement déjà fêté, plusieurs fois même. Toutes ces impressions de familiarités, pourtant d'une certaine façon, cela ne pouvait être sa vie. Elle décida d'arrêter les recherches, s'endormis sur son lit. Trêpus s'amena doucement dans la chambre et se roula en boule à ses côtés.
* * *
- Maman ? dit Énaloïse en se redressant.
Elle avait entendu des bruits de clés et la porte d'entrée se refermer.
- Ena ! Ah, tu es là? lui dit la femme d'un air rassurée avec un petit sourire en coin sur le pat de la porte de sa chambre. C'est bizarre on ne t'as pas vu lors du salut de la seconde lumière ?
- La seconde lumière ?
- Oui, Sioka, la seconde lumière. C'est étonnant, tu ne rates jamais le salut du soir. Bon je dois ranger les courses. J'ai juste récupéré une chose ou deux à l'épicerie à la sortie du temple.
La mère d'Énaloïse s'en était aussitôt allée dans la cuisine. La jeune femme la rejoignit et la scruta sans dire un mot. Sa mère, Argesa Stutch, était petite et mince. Les cheveux bouclés enroulés dans un chou et laissaient quelques mèches rebelles s'entortiller gracieusement sur chaque côté de son visage. Son teint était d'un marron clair qui faisait penser aux couleurs d'un abricot tropical. Un rouge à lèvres mauve luisait sur ses lèvres.
Était-ce bien elle ? D'apparence, oui.
Aux dernières nouvelles c'était une reporter qui parcourait le monde pour couvrir des événements d'actualité mondiale. Mais alors, que faisait-elle ici ?
- Maman, tu vas trouver ma question bizarre… mais, qu'est-ce que tu fais ici ? Je croyais que tu étais partie en Afghanistan…
- Quoi ? Afghanistan, c'est un plat étranger ?
- Afghanistan, maman.
- Qu'est-ce que c'est ? lui demanda-t-elle amusée.
- Tu sais bien. Le pays, Afghanistan, en Asie, proche du Pakistan et de l'Iran. Énaloïse gloussa, l'air de rien.
- Mais, qu'est-ce que tu racontes ?
Elle prit un temps de pose pour bien regarder sa fille, avec tout le sérieux qu'un parent pouvait regarder son enfant dire des bêtises. Puis, elle changea sa moue :
- … Tu as encore fait ce rêve ? dit-elle avec précaution.
- Quel rêve ?
- Le rêve où Klaus se noie…
Énaloïse lâcha un bruit de stupeur. Comment sa mère était-elle au courant ? Pourquoi appeler ça un "rêve".
Confuse, elle regarda dans le vide, en se mordant les lèvres.
- C'est bien la cinquième fois. je pense qu'il faut faire quelque chose.
- Comment ça ? Comment tu sais que j'ai fait ce « rêve » ? reprit Énaloïse avec attention.
- La lumière traverse tout, lui répondit simplement sa mère.
- C'est moi qui te l'ai déjà dit auparavant ?
- Non. Comme je te l'ai dit, la lumière traverse tout .
- C'est dingue, je ne me sens pas moi-même. J'ai l'impression de rêver ! lâchât-elle.
Elle s'observa elle-même, puis reporta son regard vers Argesa, une larme chaude lui filant sur la joue.
- Ena, je ne sais pas ce qui se passe. Mais peut-être que l'on peut trouver quelqu'un qui peut t'aider.
Elle s'était rapprochée de sa fille, laissant un instant ses courses. Énaloïse renifla, puis elle ouvrit les eaux. Elle chercha le réconfort de sa mère dans ses bras.
- Ça va aller, ma chérie… lui chuchota Argesa avec douceur.
- Maman, je ne sais pas ce que je suis censée faire ? Je me sens perdue...
- Prépare-toi pour Ravioka demain, les lumières te guideront. Je vais parler à Frère Talassein pour toi. Il doit bien avoir une idée de ce qui se passe.
Après un moment, elles relâchèrent leur étreinte. Énaloïse n'était sûre de rien, elle voulait simplement se laisser porter par le mouvement de cette vie si particulière. Elle était prête à se réveiller de ce mauvais rêve à n'importe quel moment. C'était déjà rassurant de voir sa mère. Une vraie alliée dans toute cette fiction. Elles s'adonnèrent à la préparation du diner. Pile au moment où tout fût prêt, le père arriva dans la pièce, posa son gros sac au sol. Il les salua rapidement et s'assit à table avec les deux femmes.
- Salut, papa, Énaloïse lui lança un regard épieux.
- Ena, tout va bien ? Tu fais une petite mine.
- Ça va… tu reviens d'où comme ça ?
- J'étais en train de mener des interrogatoires à Sawarma. Cinq jours d'interrogations auprès de ces Assénées. Bon sang le souk qu'ils ont fait avec cette affaire ! Bon on mange ? - il prit une portion de gratin et une cuisse de poulet et les posa dans son assiette, puis poursuivit - ces saletés d'Assénées, ils partent faire du porte à porte ici pour trouver qui pourra se rallier à leur cause… Selon eux - il ricana maligneusement - les lumières n'existent pas, et il n'y a aucun Dieu qui nous guide et nous gouverne.
Argesa se mit à rire en chœur avec son mari.
- Il n'y a que des Assénées à Sawarna... Pourquoi est-ce que tu les interrogeais ? demanda-t-elle en reprenant son souffle.
- Apparemment, il y a eu des tentatives de piratages du réseau, plusieurs confrères et consœurs ont eu du mal à se connecter aux appareils avec leur Viso ship. Ça leur ouvrait sur des plateformes Assénées.
- Pourquoi ont-ils fait ça ?
- On ne sait pas, ces malades, ils sont bien coriaces. Ils voulaient nous diviser avec des informations détournées.
- Est-ce qu'ils ont pu t'en dire plus ?
- Oui, mais la lumière traversant tout, je dois finir mon rapport pour le Lieutnant, fit-il en enfourchant du gratin.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? J'ai un peu de mal à suivre, dit Énaloïse en buvant un verre d'eau.
- Ils sont tous malades là-bas. On a pas pu les sauver… La lumière pour toujours !
Énaloïse et sa mère répétèrent après lui, machinalement :
- La lumière pour toujours !
C'était si délicieux, si bon. Si exquis ! Énaloïse n'en revenait pas. Elle était sûre de préférer les macaronis au fromage, mais ce gratin, était tombée du ciel et servit par les lumières elles-mêmes ! Elle savoura de grandes bouchées.
- Tu vois, ça fait toujours du bien de manger son plat préféré. Lui dit sa mère avec un regard en coin. Bon, repose-toi ce soir, et demain on pourra fêter Ravioka. Il faudra se lever tôt.
Énaloïse ne voulut pas argumenter, elle se contenta d'hocher la tête en signe d'accord. En ce moment, tout la dépassait. Elle voulut se renseigner sur la célébration du lendemain, mais elle s'endormit devant son ordinateur prise d'un sommeil lourd.