Au numéro quatorze de l'allée Schooten, dans un bar au seizième étage de la tour Gwidel à Argol. Mars se tenait au bord d'un sofa, scrutant le liquide ambré qui dansait dans son verre de scotch. Son regard ne vacillait pas, ancré sur un riche magnat qui se tenait à quelques mètres. Une figure aux oreilles pointues et la peau d'un bleu profond de nuit, un sidhe. Il était drapé dans des étoffes d'une opulence rare, ses vêtements ornés de détails somptueux, tandis qu'il échangeait des mots avec une femme au regard sévère de l'autre côté du comptoir. À première vue, elle semblait être une simple barmaid, mais les apparences étaient trompeuses. Elle se révélait être l'un des représentants d'une vente aux enchères exclusive, qui s'apprêtait à se dérouler au sein de la tour Gwidel le soir même. Les échos de leur conversation parvenaient aux oreilles de Mars, comme une brise chargée de murmures. Une fois certain que le magnat participerait à l'événement, Mars établit une connexion télépathique avec Norval, lui transmettant un compte rendu précis de la situation.
« Est-ce déjà le troisième aujourd'hui ? » interrogea Norval, sa voix résonnant dans l'esprit de Mars.
« Effectivement, huit au total si l'on compte les cinq d'hier », répondit Mars. « Quatre d'entre eux surpassaient même le rang d'un saint illuminé. Les objets mis en vente promettent d'être profondément liés au mysticisme, et en aucun cas de simples babioles. »
Un rire léger accompagna les mots de Mars, exprimant subtilement le sérieux de la situation.
La navette part demain et je n'ai pas encore totalement fini les préparations pour l'académie. J'ai trouvé un bon artefact chez un maître artisan de la ville qui sera capable de restreindre mon mana, mais la question épineuse du Vis stellaire est toujours présente. La vente aux enchères pourrait en être la clé, une opportunité dorée, pour m'épargner le cauchemar d'un sceau.
« Mars, je dois participer à cette vente aux enchères. Rends-toi auprès de cette dame et réserve-moi une place », déclara Norval d'un ton déterminé.
Mars soupira mentalement, l'ironie dans ses pensées clairement perceptible. « Ah, la prétendue modestie de ta famille aisée. »
Mais la communication se rompit abruptement, laissant Mars avec le silence de ses propres pensées.
« Est-ce ainsi qu'il rompt la conversation ? » marmonna Mars, un sourire amusé jouant sur ses lèvres. « Je ne faisais que plaisanter, pas besoin de réagir ainsi »
Plus loin, dans les labyrinthes grouillants du quartier Sassir, parmi les étals colorés, un jeune homme aux yeux de jade déambulait à travers la foule. Un morceau de papier serré entre ses doigts pointait vers une enseigne en particulier. Là, au cœur des murmures de ces illustres galeries marchandes, le regard du garçon s'ancra sur une certaine devanture, Guy Santel, un lieu prisé par les jeunes saints qui se préparaient à intégrer les académies mystiques. À l'intérieur, un vieil homme à la peau pâle était engagé dans une conversation avec une femme d'âge mûr. Mais le tintement des cloches au-dessus de la porte annonça l'arrivée du jeune homme et fit pivoter le vieillard vers la porte. Les cheveux gris du vieil homme étaient soigneusement coiffés en arrière, et il était paré d'un costume trois pièces impeccable. Ses yeux d'un bleu intense s'arrêtèrent sur le nouveau venu, avec un sourire énigmatique, il semblait attendre ce moment depuis longtemps. « Bonjour, votre altesse, » murmura-t-il, s'inclinant légèrement dans une révérence subtile, presque imperceptible aux yeux des autres clients. Le jeune prince répondit aux salutations avec une politesse contenue, glissant un morceau de papier couleur crème vers le vieil homme. Le sceau royal qui y était apposé ne laissait aucun doute quant à son importance. Le vieil homme parcourut le document avec attention avant de faire signe à Norval de le suivre dans l'arrière-boutique. « Ne vous inquiétez pas, Votre Altesse. J'ai reçu une missive de sa majesté l'impératrice il y a quelques jours, prévoyant votre venue. J'ai pris soin de rassembler toutes les fournitures nécessaires en avance. » Deux sacs en cuir de taille moyenne trônaient sur une table, côtoyant divers objets curieux. Norval s'approcha, ouvrit l'un des sacs et découvrit son contenu soigneusement disposé. Le sourire du vieil homme s'élargit à la vue du contenu, une lueur de satisfaction éclairant son regard. Il avait scrupuleusement suivi les directives pour rassembler des articles de la plus haute qualité, provenant des coins les plus reculés du continent. Cependant, le sourire du prince s'effaça. Même lui, si exigeant, ne pouvait nier la qualité de ces objets soigneusement sélectionnés pour lui. Les trésors rassemblés étaient sans doute exceptionnels, venant de différents coins du continent pour répondre à ses besoins. Mais alors que le vieil homme espérait une gratitude palpable, il fut pris au dépourvu par le changement radical d'expression sur le visage du prince. Son expression nonchalante s'évanouit pour laisser place à une colère brûlante, mêlée à une exaspération profonde.
"Je pensais pourtant avoir insisté auprès de ma mère sur le besoin de discrétion," cracha-t-il, laissant échapper sa frustration.
Sans prévenir, une vague de Vis jaillit de lui. Les objets se mirent à virevolter et les étagères à trembler, tandis que le vieil homme peinait à maintenir son équilibre sous la pression. Cette manifestation de pouvoir était une affirmation indéniable des rumeurs circulant autour du prince héritier. Le vieil homme, accablé, perçut un rire à travers la tempête de mana. Alors que la pression diminuait, il releva le regard, fixant le prince avec appréhension. "Je m'excuse pour mon comportement déplacé," marmonna Norval, son irritation palpable. "Cette réaction excessive est injustifiable." admit-il, ramassant un livre égaré. "Ma mère a probablement déjà payé pour ces fournitures que vous avez rassemblées… et bien peu importe, vous pouvez les garder, je n'en aurai pas besoin." Il s'avança vers le propriétaire de la boutique et lui remis le livre. "Préparez plutôt le même ensemble de fournitures qu'un simple plébéien aurait pu commander."
— "Un... un plébéien ?" bégaya le vieil homme, incrédule.
— "Mon langage n'est-il pas suffisamment compréhensible pour toi ?" tonna le prince, la colère montant. "Dois-je te le répéter en romain ?"
— "Non, votre altesse ! Bien sûr que non !" balbutia le vieil homme, terrifié. "C'est juste... Je ne peux pas risquer de mettre de telles fournitures entre les mains de votre noble personne. Cela serait... Eh bien, je ne peux pas."
Norval soupira, pinçant l'arrête de son nez. — "Je pense avoir été clair dans ma demande" dit-il en se dirigeant vers la sortie. "Ce soir, à dix heures, j'enverrai quelqu'un récupérer ce que je vous ai demandé."
Il sortit de la boutique, évitant les regards perplexes des autres clients. Puis une fois dehors, il quitta les ruelles animées en empruntant un train souterrain pour retourner à l'hôtel. Mars, qui était affalé dans le canapé de la suite, se rassit correctement à l'arrivée de Norval. Pour une raison quelconque, l'étudiant de dernière année ressentait toujours une certaine pression en présence de son cadet, il était pourtant quelqu'un d'ordinairement très fier, mais son instinct lui disait que Norval était quelqu'un qu'il fallait éviter d'offenser. "Tu n'étais pas partie acheter tes fournitures ? Demanda Mars, curieux. Pourquoi est-ce que tu rentres les mains vides ?
"Petit problème de stock" répondit Norval avec sa nonchalance habituelle, comme si la situation n'était pas du tout un souci pour lui. "Le propriétaire m'a dit de repasser ce soir."
Mars leva un sourcil d'incrédulité. — "Tss… quelle idée de préparer ça à la dernière minute ?"
Norval ignora sa remarque et disparut dans sa chambre pour réapparaître quelques instant plus tard, tenant une chemise à la main.
— "Où est ma place pour la vente aux enchères ?"
Un sourire malicieux étira ses lèvres tandis qu'il sortait deux enveloppes pourpre de sa veste.
— "Une place chacun, dit-il très fier de lui. Tu ne pensais quand même pas profiter d'un tel spectacle sans moi ?"
Dans des circonstances normales, obtenir des places pour un tel événement aurait été un véritable défi. Les entrées étaient limitées et coûteuses. Cependant, en tant qu'étudiant senior d'une académie spécialisée des plus prestigieuses, Mars n'avait eu aucune difficulté à se procurer les billets. Les organisateurs étaient plus qu'heureux d'accueillir de jeunes prodiges du mysticisme. Mais l'annonce ne suscita pas l'enthousiasme escompté chez Norval. Après tout, il n'avait pas l'intention de participer à cette vente aux enchères sous l'identité d'Emile. Comment un modeste plébéien pourrait-il se permettre de dépenser des sommes astronomiques pour des artefacts magiques ? L'idée d'emmener Mars avec lui impliquerait de partager certaines informations, et Norval n'en avait aucunement l'intention.
Est-ce que je suis un aimant à problèmes ? Songea-t-il, frustré par la tournure des événements récents.
— "Ça ne sert à rien de venir si tu ne comptes rien acheter." Répliqua-t-il enfin, roulant des yeux.
— "Et toi, tu comptes acheter quelque chose ?" riposta Mars.
Norval haussa les épaules, affichant un sourire énigmatique. — "La méthode que j'utiliserai pour obtenir ce que je souhaite ne te regarde pas. Si tu t'ennuies, tu peux aller chercher mes fournitures."
Mars semblait sur le point de répliquer, mais il se ravisa finalement. Il était conscient qu'il y avait quelque chose d'étrange chez Norval, et son attitude vis-à-vis de cette vente aux enchères n'arrangeait en rien ses doutes. Pourquoi le pousser s'il était déterminé à garder son secret ? Finalement, Norval partit seul en direction de la tour Gwidel, pendant que Mars entreprit de se rendre chez Guy Santel pour récupérer les fournitures.
Au troisième sous-sol de la tour Gwidel, dans l'une des luxueuses loges du théâtre souterrain, un homme aux cheveux d'ébène se tenait appuyé contre le balcon, sirotant un cocktail d'un air nonchalant. Son visage était partiellement dissimulé par un masque d'argent, ne laissant entrevoir que deux iris de jade qui scrutaient l'assemblée réunie ce soir-là. Tout d'un coup, une voix féminine teintée de respect brisa le silence.
— "Monsieur Sorel ?" murmura une femme vêtue de noir, ouvrant légèrement la porte pour annoncer sa présence.
À l'appel de son nom, l'homme au masque d'argent pivota avec une grâce innée, un sourire charmant étirant ses lèvres. — "C'est bien moi, mademoiselle."
La jeune femme garda son calme, bien qu'elle sentît ses joues chauffer légèrement. — "Le propriétaire de la loge numéro six a passé une commande à votre intention."
L'homme resta silencieux, dépassé par la situation. La dame vêtue de noir s'écarta de l'entrée pour laisser place à un homme de petite stature qui poussa un chariot chargé de nourriture et de boissons.
— "C'est offert par la loge numéro six vous dites ?" interrogea-t-il, piqué d'intérêt.
— "En effet, monsieur. De plus, cette personne a insisté pour que seuls les mets les plus raffinés vous soient présentés."
L'homme masqué se pencha légèrement sur la balustrade, jetant un coup d'œil vers la loge en question. Lorsque celle-ci entra dans son champ de vision, un mouvement fugace parcourut sa lèvre inférieure.
— "Eh bien... je me demande bien ce que cette personne cherche à obtenir", murmura-t-il, plus pour lui-même que pour quiconque d'autre.
À vingt et une heures précises, la salle était en effervescence. Les fauteuils étaient tous occupés par une multitude de silhouettes variées, une marée de visages humains, sidhes, elfes et autres créatures qui peuplaient ce monde fascinant, chacun d'entre eux porteur d'une aura de sainteté. Parmi la foule, des noms familiers émergeaient, des collectionneurs de renom et des saints éminents ayant entrepris un long voyage pour assister à cet événement. Les représentants de diverses sociétés et grandes organisations étaient également présents, leurs vêtements élégants et leurs regards scrutateurs trahissant leurs intentions. Les lumières s'adoucirent, plongeant la salle dans une semi-obscurité, et le murmure des conversations s'estompa graduellement, laissant place à un silence vibrant d'anticipation. Le rideau s'ouvrit, révélant une scène baignée d'une lumière tamisée. Dans cette aura mystique, une silhouette élégante et gracieuse se dessina, attirant tous les regards. C'était la commissaire-priseur, celle qui allait guider cette soirée exceptionnelle. Sa présence emplissait l'espace, captivant l'attention de tous les spectateurs. Vêtue d'une robe étincelante qui capturait la lueur ambrée des lustres, elle se tenait au centre de la scène, son sourire séduisant reflétant la confiance et le charme qui émanaient d'elle. Les regards de l'assistance, un mélange hétéroclite de visages familiers et d'étrangers curieux, étaient rivés sur elle, les cœurs battant à l'unisson dans l'anticipation de ce qui allait suivre. Les yeux des collectionneurs reconnus brillaient d'une lueur d'avidité contenue, tandis que ceux des amateurs d'art mystiques pétillaient de fascination. La commissaire-priseur leva délicatement son bras, son geste fluide comme la danse des feuilles portées par le vent. La salle retint son souffle, captivée par le moindre de ses mouvements.
"Mesdames et Messieurs" sa voix, douce et envoûtante, remplit l'espace avec une mélodieuse élégance.
"Créatures fascinantes et esprits éclairés, je vous souhaite une soirée inoubliable dans cet antre ensorcelé de la tour Gwidel. Ici, dans ces profondeurs où le mystère se mêle à l'éclat, nous sommes réunis pour célébrer une rencontre entre les mondes, entre l'histoire et l'art, entre les rêves et la réalité."
Un silence solennel enveloppa la salle, chacun suspendu à chaque mot qui tombait des lèvres de la commissaire-priseur. Le rythme de la vente aux enchères commençait à palper dans l'air, vibrant doucement comme un battement de cœur invisible. Son regard se promena parmi l'assemblée, sa présence rayonnant d'une aura de confiance et de charisme. Les visages éclairés par la lueur de la scène semblaient captivés, chacun pris dans le sortilège de son éloquence. Des murmures d'approbation et d'admiration s'échappèrent ici et là, tissant un écho harmonieux à ses paroles. Puis vint le moment tant attendu. D'un geste, la commissaire-priseur invita l'obscurité à engloutir la salle, laissant seule la scène éclairée où elle se tenait, pareille à une étoile solitaire dans un ciel nocturne.
"Ainsi, mesdames et messieurs," sa voix, douce mais puissante.
"Je vous convie à vous perdre dans le dédale de cette aventure, à plonger dans l'inconnu et à saisir les joyaux qui défilent sous vos yeux ébahis. Que chaque enchère soit une mélodie envoûtante, chaque prix martelé comme un battement de cœur. Le passé et le présent se rejoignent ici, dans cet instant magique où chaque geste compte, où chaque choix sculpte l'histoire à venir."