Le garçon, habillé de son costume de cérémonie, se tenait là, dans le noir, juste à côté de la porte et une peluche sous le bras. Il fixait Aina curieusement.
« Pourquoi tu es là ? » l'interrogea-t-il, tandis qu'elle pressait la main contre son cœur, pour calmer ses battements et reprendre son souffle.
La voix du jeune maître n'était pas froide ou agressive, comme s'il voulait la réprimander. Aussi supposa-t-elle qu'il n'était pas en colère de la trouver ici.
'Pas encore en tout cas.'
Même si elle avait été surprise ici, elle était plutôt optimiste étant donné la personne qui se trouvait devant elle. Être découverte par Fear était probablement l'éventualité la plus favorable pour Aina. Il était après tout doux et compréhensif et lui offrait une chance bien plus élevée de se sortir de cette situation sans encombre, comparé à Wrath ou Lust, qui n'auraient sûrement pas manqué de lui faire payer son affront au prix fort.
Malgré tout elle devait être prudente et choisir avec soins les mots qu'elle allait employer, pour ne pas mettre la puce à l'oreille de la famille sur la véritable raison de sa présence ici.
« Je... », commença-t-elle en plissant les lèvres « Je cherchais Elvan. »
Elle attendit en fixant Fear, qui ne bougeait pas, l'écoutant attentivement. Elle essayait de déceler la moindre suspicion dans sa voix ou son regard, sans jamais rien apercevoir. Si Fear doutait de ses paroles, il n'en laissa rien paraître.
Même s'il était étrange qu'il se trouva ici, elle ne le questionna pas, car elle n'avait elle-même rien à faire à cet endroit.
« Il s'occupe toujours de Void à cette heure-ci. », l'informa-t-il en glissant les yeux sur la porte de la chambre de sa sœur.
« Ah oui ? »
Fear hocha la tête, une pointe de tristesse dans les yeux.
« Elle est malade. »
Malade ?
Elle avait déjà entendu la matriarche dire que Void était souffrante, mais elle avait toujours pensé que cela était une combine pour éloigner Lust d'elle. Elle ne pensait pas que cela était vrai.
« De quoi souffre-t-elle ? », ne put-elle s'empêcher de demander, provoquant une vague grimace chez le jeune garçon.
Il avait l'air inconfortable qu'elle le questionne, aussi fuyait-il son regard en hochant la tête.
« Je ne suis pas sûr. »
Elle était convaincue qu'il mentait, mais elle n'eut pas le cœur de le contredire, de peur qu'il se mette en colère et alerte le reste de la maisonnée, la plaçant par la même occasion dans une position plus que délicate.
Personne ne lui avait explicitement interdit l'accès au deuxième étage, mais elle n'était pas censée se trouver là pour autant. Elle se fit la réflexion qu'il vaudrait peut-être mieux qu'elle s'arrête là, pour ne pas compromettre un peu plus son histoire, mais elle était désespérée d'en apprendre plus sur le manoir et d'enfin obtenir des réponses à ses questions.
Aussi prit-elle son courage à deux mains pour poser la question qui lui trottait dans la tête depuis un petit moment.
« ... Maîtresse Void est-elle servie par d'autres personnes qu'Elvan ? » hasarda-t-elle, hésitante.
Le garçon plissa discrètement les yeux, avant de secouer la tête.
« Non. », souffla-t-il, comme dans un murmure. « Il est le seul à s'occuper d'elle. »
Elle se frotta le menton, baissant les yeux. Alors personne d'autre qu'Elvan ne venait ici... La silhouette qu'elle avait vu appartenait donc à sa maîtresse ? Ou alors à quelqu'un d'autre, auquel elle n'avait pas encore pensé ?
Cela ne pouvait en tout cas pas être Elvan, puisqu'elle l'avait déjà aperçu au rez-de-chaussée, au même moment où l'individu mystère se tenait à la fenêtre à l'observer. Cela l'innocentait donc pour cette question.
« Pourquoi es-tu curieuse de cela ? »
Elle tressailli, brusquement ramenée à la réalité par sa curiosité. Il commençait à questionner ses intentions et cela n'était pas de bonne augure pour elle. Elle entendit également du bruit venant de la chambre de Void et elle se rappela soudainement qu'elle était toujours là, dans le couloir du deuxième étage.
'Cela n'est pas prudent.'
Elle aurait pu être découverte par Elvan si elle restait ici et elle n'en avait aucune envie.
Aussi commença-t-elle à marcher en direction de l'escalier, en espérant que Fear la suive. Ce qu'il fit aussitôt, sans vraiment s'en rendre compte.
« J'ai vu quelqu'un me saluer par la fenêtre. » prétexta-t-elle, un petit sourire aux lèvres. « Et je me demandais qui cela était. »
Il n'eut pas l'air tout à fait convaincu par son histoire, mais s'en contenta sans mot dire. Aina était généralement mauvaise menteuse, mais elle espéra ne pas l'être assez pour que Fear se rende compte de la supercherie.
« Tu as peut-être rêvé. », ajouta-t-il après un silence. « Personne ne vient jamais ici à part Elvan. »
Elle ne répondit rien, mais ne put s'empêcher de noter que l'enfant ne considéra même pas la possibilité que cela puisse être Elvan, ou sa sœur. Cela la conforta dans l'idée qu'il savait quelque chose, mais qu'il ne voulait pas ou ne pouvait pas le lui révéler.
Tout le monde ici en savait visiblement bien plus qu'elle et elle n'aimait pas cela. Elle voulut insister là-dessus auprès de lui, mais elle était certaine qu'il ne parlerait pas. Aussi changea-t-elle de sujet.
« A propos de ce matin... »
Fear s'arrêta dans sa marche pour la regarder, incrédule.
« Ce matin ? »
Il avait l'air de ne pas comprendre où elle voulait en venir.
« Vous... Etes-vous bien rentré avec madame ? »
Elle repensa à sa petite escapade dans le jardin, là où Wrath lui avait révélé son machiavélique mécanisme pour tenir quiconque loin de ses possessions. Elle avait pensé toute la journée à ce qui aurait pu arriver à l'enfant si celui-ci avait bien été blessé par les ronces, à tel point qu'elle en était nerveuse.
Elle observa donc attentivement les yeux du jeune maître, pour essayer d'y voir le moindre signe que quelque chose s'était produit après son départ.
« Oui. Je suis rentré avec mère. »
Mais elle ne vit rien. Aussitôt, elle poussa un soupir de soulagement, se réjouissant que le garçon n'eut pas été la victime des manipulations du patriarche. Puis un autre moment de la matinée lui revint et elle posa à nouveau les yeux sur Fear, qui l'observait toujours, appuyé contre les escaliers. Il tenait sa peluche contre lui, effleurant ses yeux troués délicatement, comme si elle était précieuse pour lui. Elle trouva l'objet de mauvais goût, mais ne fit aucun commentaire pour autant.
« Et... A propos de Despair. »
Cette fois-ci, elle vit la main de son jeune maître se refermer brusquement sur le cou du petit animal et ses yeux se plisser.
« Je ne vois pas de quoi tu parles. » répondit-il, un peu plus sèchement qu'elle l'eut imaginé.
Ce qu'elle perçu dans sa voix n'était pas de l'animosité ou de la haine, non... Cela ressemblait plus à de la peur. Une peur panique qui le secouait visiblement à l'évocation de ce nom.
Elle compris aussitôt que lui aussi savait quelque chose et que le fait qu'elle le questionne le mettait dans une position inconfortable.
« Jeune maître. » reprit-elle, se raclant la gorge et l'encourageant de sa voix la plus douce. « Je vous en prie. »
Il ne répondit rien et secoua la tête, comme pour réfuter la moindre de ses paroles.
« Je vous jure que je ne dirais rien. Je suis juste terriblement inquiète pour mademoiselle et – »
Il la coupa aussitôt.
« Ce n'est pas la peine. Elle va bien. »
Et il plaqua aussitôt la main contre son masque, juste à l'endroit où ses lèvres auraient dues se trouver, comme réalisant qu'il venait d'en dire trop. Aina quant à elle, n'en crû pas ses oreilles.
Pour la première fois, quelqu'un venait de lui confirmer ce qu'elle supposait.
'Despair existe.'
Malgré lui, Fear lui avait révélé une information cruciale. Grâce à lui, elle avait appris deux choses : la première était qu'elle n'avait pas rêvé et la seconde était que tout le monde lui avait bien mentis. Tous les membres de la famille et du manoir savaient et tous le lui avaient caché. Mais pourquoi ?
Pourquoi la famille se donnerait-elle tant de mal pour dissimuler ce genre de choses à une simple servante ? Pourquoi était-elle la seule tenue dans le secret. Mais l'était-elle vraiment ? Après tout, peut-être les autres servants n'étaient-ils également pas au courant ? Peut-être les membres de la famille et le serviteur le plus ancien et fidèle de la demeure étaient-ils les seuls à pouvoir être dans la confidence ?
Que cela soit le cas ou non, rien n'expliquait que l'on ait fait disparaître Despair de la sorte. Rien.
« Où est-elle ? » le questionna-t-elle d'une voix pressante.
Elle n'avait pas le droit de le demander, elle le savait, mais elle n'allait pas s'arrêter en si bon chemin. Elle avait après tout fait la première avancée depuis le début de ses interrogations et elle ne comptait pas s'arrêter là.
Fear demeura silencieux, reculant de quelques pas comme s'il s'apprêtait à partir en courant, mais elle lui attrapa le poignet.
« Jeune maître. »
Elle insistait, comme jamais elle n'avait osé le faire avant, parce qu'elle avait la conviction que si elle le poussait encore un petit peu, Fear finirait par lui révéler des informations. Et celui-ci grimaça, fuyant son regard. Il avait l'air d'hésiter sur la marche à suivre et elle comptait sur ce moment de doute, sur sa résolution qu'elle sentait faillir, pour le convaincre.
« S'il vous plaît. »
Elle l'entendit grogner, serrant sa peluche contre lui d'une main tremblante.
Il avait l'air effrayé et la vue de son air apeuré la dissuada presque de continuer à le presser. Mais elle n'eut pas le temps de rebrousser chemin que le jeune garçon ouvrit la bouche.
« Elle a été rappelée. », finit-il par dire, regardant autour de lui comme pour s'assurer que personne ne l'écoutait.
« Rappelée ? Que voulez-vous dire ? »
Elle voyait bien qu'il était réticent. Il devait avoir l'impression d'en avoir déjà trop dit, mais elle voulait en savoir plus. Elle en avait besoin.
« Elle a transgressé les règles. »
Chaque phrase qu'il prononçait lui était comme arrachée et Aina voyait bien qu'il les disait avec une grande difficulté, comme s'il avait été torturé pour le faire. Elle se sentit légèrement coupable de se servir de la vulnérabilité et la gentillesse d'un enfant, mais sa quête de vérité lui parût bien plus importante.
Il avait dit qu'elle avait transgressé les règles. Mais quelles règles ? De quoi était-il question ?
« Lesquelles ? »
« Elle... » il souffla, murmurant presque. « Elle a trop parlé. »
[Je t'ai déjà dit ce qui arriverait si tu parlais trop, n'est-ce pas ?] résonna la voix grondante d'un homme.
Une vision arrivait, elle le sentait.
'Un souvenir.'
Mais ce n'était pas le moment. Elle avait besoin de rester consciente, d'en savoir plus, mais elle sentait déjà que ses émotions commençaient à la submerger, que son esprit se remplissaient de pensées incohérentes et bruyantes qui résonnaient dans son crâne.
« Elle l'a trahis... »
Il chuchotait à présent, les yeux tournés dans le vide, l'air hagard comme s'il perdait petit à petit son âme.
[Je vais te faire la peau, tu m'entends ?] continuait à hurler l'homme, tandis que la pièce commençait à se déformer et le visage de Fear aussi.
Elle était en train d'halluciner éveillée, ce qui ne lui était presque jamais arrivé avant, enfin pas de cette manière.
Lui, demeurait figé, ses pupilles perdant petit à petit la lumière qui les animaient, pour n'être plus deux orbes incolores et ternes, comme celle d'un jouet...
...D'une coquille vide.
« Et moi aussi... »
Elle eut à peine le temps de tendre la main dans sa direction et de le voir commencer à retirer son masque, avant que ce qui l'entourent disparaisse et qu'elle soit transportée ailleurs.
'Dans un souvenir.'
Dans une pièce sombre dans laquelle ne résonnait qu'un hurlement strident.