– « Ne soyez pas aussi impulsif, Votre Altesse, je ne veux pas vous faire de mal. Je désire seulement parler avec vous. »
Zut! Etait-ce une façon de dire à quelqu'un que l'on souhaite lui parler ? Roland ravala sa peur et se retourna lentement. Sous la menace d'un poignard, il ne pouvait que céder à la pression et obtempérer.
À la faible lueur des bougies, le prince aperçut une silhouette assise sur son lit, enveloppée d'un vêtement et d'une capuche qui dissimulaient son apparence réelle. Son ombre projetée occupait plus de la moitié du mur derrière elle.
– « Qui êtes-vous ? »
– « Je n'ai pas de nom, mais mes sœurs m'appellent Rossignol. »
L'inconnue se leva et lissa sa robe, puis, contre toute attente, elle fléchit le genou dans une noble révérence : « Tout d'abord, je suis ici pour vous exprimer ma gratitude, prince Roland Wimbledon. »
Exprimer votre gratitude? Roland remarqua que certaines lignes de sa robe, en raison de la lumière de la flamme, créaient un reflet unique. Ils formaient un motif de trois triangles parallèles avec un œil dans celui du milieu .Il avait l'impression de l'avoir déjà vu.
« Ce motif, c'est l'Œil de la Montagne Sacrée, qui est l'insigne de l'Association de Coopération des Sorcières. »
Les paroles de Barov lui revenaient à l'esprit.
– « Vous êtes … une sorcière ?! »
Elle eut un rire léger:
– « Votre Altesse est vraiment perspicace. »
En l'entendant dévoiler ainsi son identité, Roland lâcha un soupir de soulagement : elle n'était pas un assassin envoyé par ses frères et sœurs.
– « Pourquoi une sorcière comme vous est-elle venue dans cette ville éloignée de la région de la Montagne du Nord ? Je ne sais pas d'où vous eu vent des nouvelles, mais vous avez mis du temps à arriver. Si j'avais vraiment voulu la pendre, elle serait morte depuis longtemps. »
– « Je sais. Et si vous l'aviez fait, je ne serais jamais venue vous parle »
Rossignol s'assit sur le lit.
« L'Association de Coopération des Sorcières ne souhaite pas intervenir dans les affaires du monde, surtout dans celles liées à la royauté. Honnêtement, pour une sorcière, tuer un prince ne serait pas difficile, mais je veux faire honneur à l'Association. Cependant, si vous avez encore une mauvaise attitude, je peux toujours vous tuer. »
C'était une menace en suspens. Roland s'efforça de détendre l'atmosphère :
– « La sorcière est bel et bien en vie. »
– « Je le sais, et je sais aussi qu'avec elle, il y a une petite fille. »
Elle hocha la tête :
« Je suis venue ici il y a une semaine, mais je ne me suis pas montrée. Cependant, j'ai vu tout ce que vous avez fait. Bien que je ne comprenne pas très bien pourquoi vous ne faites pas preuve de l'habituelle malveillance envers les sorcières, peu importe, au nom de l'Association de Coopération des Sorcières, je me dois de vous remercier. »
Depuis une semaine ? Roland se frotta le front. Ainsi, elle avait vu tout ce qu'il avait fait ? Cela supposait qu'elle l'avait suivi, sans que lui-même ni ses gardes ne s'en aperçoivent ?
– « Allons arrêtez, lorsque vous disiez que vous souhaitiez me parler, ce n'était pas uniquement pour me remercier, n'est-ce pas ? »
– « Êtes-vous déjà fatigué de parler avec moi ? », demanda Rossignol en retirant sa capuche: « Voyez, je ne suis pas si horrible, je ne vous effrayerai pas, Votre Altesse. »
Elle était beaucoup plus que «pas horrible», on ne pouvait que la trouver belle ! Alors que sa capuche tombait, ses cheveux dorés se déroulèrent en cascade sur ses épaules, reflétant la lumière des bougies. Le prince se sentit étourdi. Avec son nez aquilin et ses yeux étincelants, très différents des regards un peu enfantins d'Anna et de Nana, ses traits révélaient un charme plus mature. En raison de la faible luminosité, il ne pouvait pas voir en détails, mais les traits de son visage, bien dessinés, étaient à eux seuls une preuve suffisante de sa beauté.
Pas à pas, Roland se dirigea lentement vers elle et s'assit à ses côtés sur le lit. Ce n'était pas qu'il soit attiré par la jeune femme, ce qui se serait avéré plutôt dangereux. Non, il sentait simplement qu'elle n'avait t aucune intention malveillante.
– « Maintenant, vous pouvez parler. »
– « Bien sûr, vous n'avez pas peur de moi ». La voix de Rossignol semblait plutôt joyeuse: « Vous et moi avons déjà vu les gens réagir différemment. Ils nous haïssent parce qu'ils ont peur de nous. Je vois la peur dans leurs yeux, mais en vous Roland… »
Elle ne put pas s'empêcher de s'approcher pour caresser doucement sa joue : « Je vois seulement de la curiosité. »
Roland toussa deux fois, embarrassé, puis détourna la tête de sa main.
– « Hé, ne changez pas si brusquement d'attitude ! Il y a un instant encore, vous étiez un assassin, comment pouvez-vous changer comme cela ? »
Heureusement, la sorcière maîtrisa immédiatement ses émotions:
– « Je suis venue vous dire que je veux prendre Anna et Nana avec moi. »
– « Non! » Répondit Roland impulsivement, sous l'effet de la crainte. Mais craignant que, s'il lui refusait absolument, elle en soit contrariée, il ajouta : « Elles sont très bien ici, personne ne peut les blesser. D'ailleurs, où les emmèneriez-vous ? Il n'existe pas d'endroit plus sûr qu'ici. »
– « Je compte les emmener à l'Association de Coopération des Sorcières. Après tout, c'est là-bas qu'est leur foyer. »
En dépit du refus de Roland, Rossignol n'était pas en colère. Elle gardait un ton calme et poursuivit : « Les membres de l'Association sont leurs compagnes, et il n'y aura pas de discrimination ou de persécution. Elles ne seront plus contraintes de se déguiser. »
– « Cette association et vous-même n'avez pas de domicile fixe ? Il y a un mois, mes gardes ont découvert votre camp dans la forêt. Ils ont trouvé des empreintes menant vers le Nord … Mais au nord, il n'y a que les montagnes sans fin! »
– « Vous avez raison, l'Association se cache quelque part dans les montagnes. Pour nous sorcières, c'est un endroit très sûr. »
– « Comme un homme sauvage vivant dans les montagnes pendant l'hiver, finalement, où seriez-vous en sécurité ? Avez-vous de l'eau claire ? Suffisamment de nourriture ? Un refuge chaleureux ? Les Mois des Démons arrivent, tout le nord-ouest va devenir un endroit dangereux. »
Roland marqua une pause. Qu'est-ce que Barov avait dit encore ?
« Une sorcière ne peut trouver la paix que dans la Montagne Sacrée. Le but que poursuit l'association est justement de trouver cette montagne ». C'est de la folie, ne faites pas ça…. pensa-t-il, avant de demander :
« Ainsi, vous traversez la chaîne de montagnes infranchissable à la recherche de la Montagne Sacrée? »
– « Je crains de ne pouvoir vous répondre » dit Rossignol en souriant. Mais dans son regard, Roland sut qu'il avait deviné.
– « Si c'est le cas, je ne consentirai jamais » s'exclama Roland, rejetant catégoriquement ce plan. « Dans deux mois le monde extérieur sera rempli de bêtes démoniaques. Même si vous parvenez à éviter les humains dans les montagnes, vous ne pouvez pas vous cacher de ces bêtes. Que pensez-vous de cette idée ? Venez toutes à Border Town et, lorsque l'hiver sera terminé, vous partirez à la recherche de la Montagne Sacrée. »
Ce fut au tour de Rossignol d'être étonnée:
– « L'Association ? Déplacée ici ? Vous … êtes vraiment une personne intéressante! » Elle réfléchit un instant, puis secoua la tête : « Votre Altesse, même si vous ne craignez pas les sorcières, vous ne pouvez vous porter garant de vos gens. Je crains qu'une fois que nous serons exposées aux yeux de tous, les sbires de l'Église viennent bientôt frapper à votre porte. »
Comme les sorciéres peuvent nous aider à traverser les Mois des Démons, ils se rendront compte que ce ne sont pas elles les mauvaises, pensait Roland, mais avant qu'il n'ait pu ouvrir la bouche pour parler, Rossignol l'interrompit :
– « De plus, il y a une autre raison pour laquelle je veux emmener les filles : Anna va bientôt devenir adulte. »
– « Adulte ? »
– « En effet. L'âge adulte est le premier obstacle que toute sorcière doit traverser. Plus tard elles le traversent, plus il devient difficile à supporter. Généralement, on devient sorcière à un âge bien plus précoce que celui d'Anna », expliqua-t-elle doucement, devant la perplexité du prince.
« Votre Altesse, savez-vous pourquoi on nous considère comme le diable incarné ? »