Carciem n'avait pas menti en disant qu'il ferait dormir Ewan et Pavas dans les baraquements de la caserne militaire d'Ylesse.
Mais au moins, ils avaient pu passer une nuit confortable, à l'abri du froid et des bêtes sauvages.
Ce qui était plutôt une amélioration, par rapport au quotidien du jeune chasseur ces derniers mois.
Mais cela lui avait également rappelé la période pendant laquelle il avait été étudiant à l'académie militaire, en compagnie de Carciem.
À l'époque, il avait préféré devenir chasseur, plutôt que de continuer une carrière dans l'armée comme son ami. Ce qui lui avait d'ailleurs valu plusieurs remarques mêlées à de l'incompréhension, au vu de ses très bonnes notes, et de sa capacité à estimer et reconnaître la qualité de n'importe quelle arme.
Toujours allongé sur son lit, il repensa alors à l'étrange épée que Wynblow lui avait confiée.
Il n'en avait jamais vue de pareille avant ce jour, et même la fameuse Sarmawyn devenait terne en comparaison.
Sarmawyn était pourtant une épée enchantée légendaire, qui faisait partie des armes prêtées aux hauts gradés de l'armée. Elle avait été enchantée générations après générations par plusieurs éléments différents ; mais celui qui revenait le plus souvent était celui relatif à la foudre. Peut-être que les alchimistes trouvaient cet élément approprié pour une épée supposée avoir terrassé d'innombrables monstres et ayant appartenu par le passé à un des tout premiers rois du royaume humain. Ou peut-être était-ce par respect pour leurs prédécesseurs ?
Toutefois, l'épée de Wynblow était vraiment étrange, car non seulement il n'y avait aucune trace de magie – preuve qu'elle n'avait jamais été enchantée, même dans un passé très lointain – mais en plus, sa technique de construction échappait à Ewan. Il avait vraiment du mal à comprendre et à s'imaginer quels procédés avaient été mis en œuvre pour sa fabrication. Encore un autre mystère à inscrire sur sa liste de choses à découvrir.
On frappa à la porte, ce qui fit se relever pour s'asseoir le jeune chasseur.
Et sans même qu'il ait eu le temps d'inviter la personne à entrer, la porte s'était déjà ouverte, révélant Carciem.
« Hé ! J'espère que t'as bien dormi ! » S'exclama-t-il en agitant sa main.
« C'était correct, » répondit simplement Ewan, tout en jetant un œil au lit à côté du sien, dans lequel Pavas dormait encore.
Quelque chose lui disait que si l'Intendant Général venait le voir dès le matin, c'est qu'il voulait lui demander quelque chose.
« Je sais pas si tu vas en profiter pour aller visiter la ville, mais quand tu reviens ce soir, peux-tu venir dans l'amphithéâtre ? »
'Quand' et pas 'si'. Carciem était persuadé que son ancien camarade de classe allait revenir en soirée, et prenait pour acquis qu'il pourrait lui parler à ce moment-là. Alors qu'Ewan avait prévu tout autre chose. Comme par exemple, partir le plus vite possible de cette ville qui commençait à le mettre mal à l'aise.
« Qu'est-ce que tu veux de moi, Carciem ? » Demanda Ewan, suspicieux.
Immédiatement, l'homme à la chevelure blonde leva ses deux mains devant lui.
« Ah, rassure-toi, ce sera une requête officielle ! » Se précipita-t-il à dire. « Je ne suis pas assez idiot pour te demander de nous aider gratuitement ! »
« Une requête officielle ? » Répéta avec confusion Ewan.
Carciem hocha de la tête, avant de commencer à se diriger vers la porte restée grande ouverte de la chambre.
« Je t'en dirais un peu plus ce soir, avec le reste de la garnison ! » S'exclama-t-il en agitant le bras. « Mais rien de louche, promis ! Alors profite bien de la ville en attendant ! »
Aussi vite qu'il avait fait irruption dans la pièce, l'officier avait déjà à nouveau disparu, non sans claquer bruyamment la porte en bois derrière lui.
'Une requête officielle, hein ?' Soupira mentalement Ewan.
On lui avait plus que forcé la main, là. Et il ne savait même pas s'il aurait le choix de dire non. Probablement pas, vu qu'il s'agissait de Carciem, après tout.
Et visiblement, cet abruti avait tellement fait de bruit en fermant la porte, que Pavas s'était réveillée, regardant avec des yeux fatigués tout autour d'elle.
C'est vrai. Il restait encore la question du devenir de la petite fille.
Il avait dit qu'il l'amènerait en ville pour la laisser en compagnie de personnes pouvant la prendre en charge. Mais le jeune homme doutait qu'elle ait encore de la famille en vie, ou même des connaissances au sein d'Ylesse.
'ça ne laisse qu'un endroit, hein ?' Pensa-t-il avec amertume.
Il se tourna alors vers la petite fille, et sourit - certes, maladroitement – avant de dire :
« Qu'est-ce que tu dirais d'aller visiter un peu la ville ? »
Elle acquiesça silencieusement, et un quart d'heure plus tard, ils étaient dans les rues de la grande cité, à visiter les lieux emblématiques à proximité.
La statue du premier roi des humains, recouverte de feuilles d'or.
Pavas fut surprise de voir autant d'or à un même endroit, ce qui fit pouffer de rire Ewan. Au final, il dut la traîner par la main pour la décoller de là où elle regardait avec intensité la statue.
La cathédrale en marbre blanc surplombant de sa hauteur impressionnante toute la ville - y compris la caserne militaire – et dont les vitraux colorés projetaient des lumières vibrantes et intenses sur le sol.
Ewan en profita pour acheter une tablette enchantée avec une formule pour garder l'eau saine, tandis que la petite fille s'amusa à sauter sur les formes lumineuses et multicolores répandues sur le dallage en marbre noir. Elle devait probablement trouver ça très joli.
Et le forum, une immense place où tous les jours, les échoppes de marchands ambulants s'installaient pour vendre leurs produits.
« Je parie que tu n'avais jamais vu avant autant d'échoppes réunies à un même endroit, pas vrai ? » Demanda Ewan tout en baissant la tête vers la petite fille dont il tenait la main.
Pavas acquiesça silencieusement, tout en mordillant une brochette de viande que le jeune homme lui avait achetée.
« Il y a vraiment beaucoup de passage ici, et tu croiseras sans doute beaucoup de personnes différentes, » continua Ewan tout en terminant de manger sa propre brochette. « Et la vie y est paisible, sans attaques de monstres, ou de bandits. »
Encore une fois, la petite fille resta silencieuse. Ce qui poussa Ewan a s'arrêter de marcher, et à se tourner pour s'accroupir devant elle.
« Dis Pavas, tu te souviens que je t'ai dit que je te laisserais ici, pas vrai ? » Demanda-t-il tout en sentant une boule se former dans sa gorge.
Elle hocha la tête, tout en le regardant droit dans les yeux.
« Je suis un chasseur, donc je ne retourne presque jamais chez moi, et ce que je fais comme travail est dangereux, » expliqua-t-il. « Donc, je vais te confier à de gentilles personnes qui s'occuperont bien de toi, d'accord ? »
Pavas se mit alors à fixer le sol, avec une expression morose. Elle semblait encore hésiter.
« C'est bien ce qu'on avait convenu, non ? » Reprit Ewan.
Mais voyant que la petite fille arborait une expression triste, il s'empressa d'ajouter malgré lui :
« Mais ça ne veut pas dire qu'on ne se reverra pas. »
Immédiatement, Pavas leva les yeux vers lui, les yeux brillants, et fit un tout petit sourire.
Il aurait dû se douter que la séparation serait aussi difficile. Surtout en prenant en compte que la petite fille s'était attachée à lui, entre temps.
Mais c'était pour son bien, et la meilleure décision à prendre. Il ne pouvait décemment pas s'occuper d'un enfant en bas âge dans sa situation, et encore moins depuis qu'il avait passé un marché avec un dragon caractériel.
Il se mentirait sûrement à lui-même aussi, s'il disait ne pas regretter de la laisser derrière lui. Mais il se réprimanda mentalement.
'Agis avec logique, Ewan. Avec logique.' Lui dit une voix intérieure qu'il reconnut comme étant la sienne.
Il sourit maladroitement à Pavas, et se relevant, entraîna la petite fille derrière lui à travers la foule.