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Chapter 13 - Regrets.

La nuit était déjà bien avancée, et la querelle déjà passée depuis assez longtemps pour que chacun regrette ce qu'il avait dit à l'autre. Le plus frappant était tout de même l'entêtement dont chacun faisait preuve dans une bagarre. Et ce, même si les arguments de chacun étaient valides.

Les corps fraîchement mis en terre semblèrent pousser un soupir de soulagement, leur âme rejoignant les cieux.

Même si certains ne croyaient pas qu'il puisse y avoir quelque chose après la mort, la plupart pensaient que des morts qui ne reposaient pas en paix, pouvaient revenir tourmenter les vivants. C'était une sorte de constante universelle, selon laquelle les regrets étaient la force motrice la plus puissante qui soit.

Peut-être était-ce le regret de ne pas avoir pu sauver son ami, qui avait poussé Ewan à être aussi dur avec Wynblow.

Peut-être était-ce ses regrets concernant cette stupide dispute avec la dragonnelle, qui l'empêchèrent de remarquer les mouvements inhabituels des ombres l'entourant. Ni même la température montant progressivement dans les parages, alors que le temps était plutôt froid à cette période de l'année.

Il soupira lourdement, observant les deux monticules de terre fraîchement retournée. Au moins une bonne chose de faite.

Il s'apprêtait à rejoindre Fusain, quand le craquement d'une planche de bois attira son attention.

Était-ce un animal, ou bien une personne ?

Avec précaution, et main sur sa dague, il approcha de l'endroit d'où le son lui était parvenu : les ruines d'une autre maison, tout aussi calcinée que les autres bâtiments l'entourant, mais dont les murs avaient un peu plus résisté. Des murs qui à présent lui obstruaient la vue sur un potentiel ennemi.

La nuit avait déjà été un élément désavantageux, non pas à cause des dangers pouvant être rencontrés, mais à cause de ceux qui venaient à vous en connaissance de cause. Et quelque chose disant à Ewan que cette nuit-là n'allait pas être en reste, pour ce qui était des problèmes venait directement à votre rencontre.

S'avançant lentement des ruines, il longea dans le silence un des murs encore debout, la pierre devenue aussi noire que les restes de poutres brûlés.

Il n'avait entendu aucun mouvement de la part de l'animal ou de la personne qui pouvait se cacher juste derrière le mur qu'il longeait. Mais tandis qu'une goutte de sueur roulant depuis son front, il entendit une petite respiration.

Pas d'erreur possible. Quelqu'un – un être humain – se tenait là.

Et en de pareilles circonstances, plusieurs pensées traversèrent l'esprit d'Ewan.

Est-ce que c'était le coupable, resté sur les lieux ? Un pillard ? Un rescapé ? Ou pire encore, une de ces races humanoïdes qui adoraient la guerre et le carnage?

Il prit en main sa dague, la sortant de son fourreau. Il n'aurait pas le droit à l'erreur. C'était surprendre ou être surpris.

Enfin arrivé à l'arrête du mur, il tenta de contrôler sa propre respiration. Calme. Il fallait qu'il garde son calme.

Et dans un bond, il sauta de l'autre côté du mur, la lame de sa dague plongeant vers l'avant.

Mais quelques secondes plus tard, il se retrouva à soudainement arrêter son arme – de justesse, même – face à quelque chose qu'il n'aurait pas un seul instant imaginé voir.

En face de lui, blottie contre le mur et cachée par des planches noircies, se tenait une toute petite fille.

Elle était couverte de suie, et avait des égratignures sur tout le corps, mais au moins, elle ne semblait pas blessée gravement.

Deux grands yeux, violets comme des améthystes, tremblaient en le regardant.

Prestement, Ewan rangea sa dague, et montra ses deux mains à présent vides à la petite fille.

Elle ne devait pas avoir plus de 9 ou 10 ans, et Ewan ne parlant que très rarement avec les autres habitants lors de ses visites, n'avait absolument aucune idée de qui elle pouvait être.

« Hé, tout va bien, » dit-il toujours en montrant ses mains. « Je suis Ewan, un chasseur. Et toi, tu t'appelle comment ? »

La petite fille sembla se calmer un peu, peut-être rassurée par le fait qu'elle avait un chasseur de monstres en face d'elle, et serra nerveusement de ses deux petites mains sa chemise tâchée.

Il baissa finalement ses mains, observant de plus près l'enfant.

Elle avait de courts cheveux blancs – couleur qui était un signe distinctif des habitants de cette région - noués en deux petites couettes de chaque côté de sa tête, et était vêtue d'une longue chemise beige faisant office de robe. Elle était également pieds nu, ses orteils noircis par le contact avec le sol et les restes carbonisés le jonchant.

« Tu peux me dire le nom de tes parents ? » Demanda-t-il.

La petite fille ne répondit rien, et se contenta de rapidement jeter un regard vers sa droite, à la gauche d'Ewan.

Deux formes bien trop reconnaissables étaient enfouies sous des gravats.

Il aurait mieux fait de ne rien dire. Quel idiot.

« Je… Je vois... » Parvint-il à dire.

La petite fille n'osait toujours pas bouger, malgré la température ambiante augmentant, et Ewan sentit que c'était mal venu d'essayer de la déloger de l'endroit où elle s'était blottie. Il avait peur de trop l'effrayer en procédant de la sorte, et sorti des ruines de la bâtisse, décida donc de s'attarder à remplir une autre tâche.

S'emparant d'une grosse pierre, il se mit à faire ce qu'il avait déjà fait quelques minutes plus tôt : il creusa dans le sol. La terre était encore relativement meuble et facile à creuser, même si Ewan suspecta que ce qu'il creusait était plus de la cendre qui s'était accumulée, que de la vraie terre.

Puis, une bonne demi-heure plus tard, un trou de bonne taille était apparu devant le jeune homme.

La température avait encore augmenté durant tout ce temps, et il ruisselait à présent de transpiration.

C'était vraiment bizarre, que la température augmente à ce point, alors que l'aube était encore loin. Ewan ressentit un malaise s'installer en lui. Peut-être aurait-il mieux fait d'écouter Wynblow, après tout.

Il retourna dans les ruines, et sous les yeux inquisiteurs de la petite fille, dégagea les deux nouveaux corps, avant de les transporter jusqu'au trou fraîchement creusé.

Il essaya de ne pas montrer son inconfort, face à la peau qui craquait et croustillait sous ses doigts, et qui par moments se détachait du reste du corps en petites plaques.

Puis, les corps enfin placés dans le trou, il commença à les recouvrir de terre, et sentit sur lui un regard.

Il leva la tête vers les ruines, et vit que la petite fille le regardait, cachée derrière le mur et ne laissant dépasser que son visage et ses doigts boudinés de jeune enfant.

Souriant maladroitement, il se remit à reboucher le trou ; concentré sur sa tâche, mais toujours alerte vis-à-vis de ses environs.

Encore quelques pelletées, et le couple inconnu put enfin reposer en terre. Ewan ne fut pas surpris de sentir la présence de la petite fille à ses côtés, qu'il avait observé du coin de l'œil s'approcher de plus en plus de lui, à mesure qu'il brassait de nouvelles pelletées de terre.

« Est-ce que tu sais pourquoi il faut mettre les gens en terre ? » Demanda-t-il sans la regarder, ses yeux fixés sur le monticule unique de terre devant lui.

La petite fille ne répondit rien, et il se dit que la question était peut-être un peu trop dure pour une enfant de son âge.

« On doit mettre les gens qui nous sont chers en terre pour éviter qu'ils restent sur place, » expliqua-t-il. « Pas par peur qu'ils nous hantent, loin de là... »

Il tourna la tête sur sa gauche, et vit que la petite fille pleurait silencieusement, reniflant et essuyant son visage déjà sale avec ses mains. Il ne pouvait pas lui en vouloir. Tout cela avait été sûrement trop soudain pour elle.

« On met en terre les gens pour qu'ils fassent à nouveau corps avec la nature, et emportent avec eux nos regrets à nous. » Continua-t-il. « Comme ça, notre tristesse s'estompe avec le temps. Et eux peuvent partir l'esprit léger, en sachant qu'on ne sera plus triste en pensant à eux. »

La petite fille reniflait bruyamment. Peut-être ne l'avait-elle pas entendu, après tout. Mais il était rassuré de voir qu'elle pouvait encore communiquer ses émotions, et n'était pas complètement refermée sur elle. Il pourrait sûrement la prendre avec lui sans qu'elle ne résiste.

Parce que vu la situation dangereuse dans laquelle ils se trouvaient à présent, il voulait partir le plus vite possible d'ici.

L'étrange sensation de danger, grandissant avec le temps qui passait, avait commencé à sérieusement mettre mal à l'aise Ewan.

La température augmentant anormalement.

Il chercha Fusain du regard. Même lui s'était tût, avec un regard apeuré et des yeux exorbités remuant dans tous les sens.

Ok. Il n'était pas si loin que ça. Et si la petite coopérait, ils seraient hors d'ici suffisamment rapidement.

Il la prit par la main, et se mit à marcher.