Un homme accouru dans la salle de commande, le souffle court et des gouttes de sueur coulant sur son front. Il recoiffa ses cheveux rouge-carmin qui et se redressa fièrement, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Il frémissait d'excitation et ses yeux pétillaient d'impatience. En reprenant sa respiration, il leva la main jusqu'à sa tempe pour saluer son supérieur.
— Amiral Kross, nous avons la planète Ophiucus X45 en visuel !
L'intéressé frappa violemment la table avec son poing en entendant cette nouvelle et s'exclama :
— Je vois bien cela, Lieutenant Regg. Regardez-moi donc cette beauté !
Le haut gradé appuya sur quelques boutons de la table de contrôle et un immense écran holographique apparut. Devant eux, la planète gravitait en suspens dans le vide glacial, accompagnée par un soleil éblouissant. Deux parties se détachaient d'elle et donnaient l'impression qu'on l'avait coupée en deux. Quatre chaînes colossales reliaient les deux pôles. Le sud était recouvert de forêts et de mers de sable. Le nord paraissait plus dangereux, gouverné par des terres enflammées et des monts enneigés. Au centre gravitaient des îles flottantes sur lesquelles ruisselaient cascades et rivières.
— Atlas... Je n'aurais jamais cru qu'une telle planète existerait, murmura l'Amiral en admirant l'astre errant dans la solitude du vide.
Muet devant ce spectacle ineffable, une larme de joie coula le long de sa joue. Le haut gradé l'essuya l'air de rien et leva les bras vers le plafond de la salle.
— Home, sweet home ! Nous voilà ! s'écria-t-il en se retournant vers l'autre homme. Lieutenant, veuillez préparer l'équipage et les passagers. Nous devons atterrir sur la partie sud dès que possible.
Le subordonné s'inclina et acquiesça d'un signe de tête :
— Entendu, Amiral.
Sur ces mots, l'homme se dirigea vers la sortie de la salle de commande. Il peinait à retenir le sourire d'excitation qui se dessinait sur ses lèvres. Enfin, après deux siècles de voyage en hibernation, l'humanité allait pouvoir revivre. L'espoir de toute son espèce reposait sur ces deux cent mille humains qui voyageaient à bord du Léviathan, prêts à conquérir cette planète et à en faire leur nouveau foyer. La Terre ne serait plus qu'un mauvais souvenir. La souffrance endurée par les terriens ne serait pas en vain.
*
Le vent balayait l'herbe au vert éclatant. Le soleil berçait le corps de l'homme allongé, le regard rivé vers une silhouette lointaine qui recouvrait le ciel.
— On dirait qu'on a des visiteurs.
À côté de lui, un individu au visage marqué par la vie et aux yeux masqués par un bandeau écarlate soupira.
— Je sens plutôt les ennuis arriver. Devrais-je les chasser ?
L'homme aux iris dorés se leva avec agilité et regarda en direction du vaisseau. Un sourire mesquin se dessina sur ses lèvres fines.
— Non, je suis curieux de voir ce qu'il va se passer. Je les détruirai moi-même s'il s'avère qu'ils veulent nuire à notre monde.
— Ils semblent qu'ils vont rester ici pendant un certain temps..., grogna son acolyte.
— Ça fera un peu de compagnie aux habitants de cette planète ! Et puis nous sommes les gardiens de ce monde, Lados. N'oublie jamais ça. Qui serait assez fou pour défier des dieux ?
— Tu l'as dit toi-même. Des fous.
— Allons, allons... Je comprends que tu souhaites anéantir ces créatures qui osent souiller notre terre, mais quel est donc l'intérêt de guerroyer si l'on ne souhaite pas la paix ?
Au travers du bandeau qui dissimulait ses yeux, Lados regarda son ami d'un air désespéré et céda devant son enthousiasme. Après tout, il était celui qui tenait le plus à ce monde, il savait probablement ce qu'il faisait.
— Soit. Laissons-les s'installer.
Son acolyte lui donna une gentille tape dans le dos pour le remercier de sa confiance et esquissa un sourire large jusqu'aux oreilles. Il se tenait fièrement droit en direction du vaisseau. Le charisme qui émanait de lui semblait contenir toute la grâce et la férocité d'un lion. Ses yeux d'or scintillaient sous la lumière du soleil, tel un espoir dans les ténèbres de la solitude. Il se retourna vers son ami et s'exclama avec sûreté en pointant son doigt vers le ciel :
— Tu verras, Lados ! Un jour, ce sera notre tour de rentrer chez nous. Nous rejoindrons les nôtres. Ils nous attendent quelque part, là-haut, dans l'infini de l'univers.
— Juste un ou deux millénaires, hein..., murmura l'autre homme. Que pourrait-il arriver de mal d'ici là ?
Dans son esprit, rien. Rien de mal ne pouvait arriver. Après tout, ils étaient des dieux dans ce monde de fourmis. Des êtres invincibles, errants dans la solitude en attendant de pouvoir rentrer chez eux. Et pourtant, sans qu'ils s'en doutent, les griffes du destin se refermaient sur les deux amis, insouciants de ce que l'avenir leur réservait. Mais s'ils savaient, le désespoir les dévorerait aussitôt. Car près tout, même les dieux ne pouvaient échapper à la mort.