L'homme hurlait. Nous ne savions pas exactement ce qu'il disait, mais nous pouvions le deviner. L'homme semblait être brun mais il était si recouvert de sang que nous ne pouvions pas bien le distinguer. Ils se situaient à seulement deux cents mètres de nous.
« Alice, il faut aller l'aider ! »
« Je-Je ne sais pas. Ils sont trois ! »
Elena ne dit rien.
L'homme et les créatures se rapprochaient à grande vitesse, si rapidement que nous étions condamnées à prendre une décision précipitée. En effet, alors que le petit groupe n'était qu'à une soixantaine de mètres de nous, l'homme se fit attraper par l'un des trois stigmas. De la même manière qu'Elena et moi furent attaquées, le stigma planta une de ses très longues griffes dans le torse du pauvre éclaireur.
Son sang fut projeté sur plus d'une dizaine de mètres. Mais la créature semblait beaucoup plus cruelle par rapport à celle que nous avions rencontré à Irïs, et ne s'arrêta pas là. En effet, celle-ci tourna l'homme face à elle, et sembla le regarder droit dans les yeux. Après cinq secondes de pur silence, où aucun stigma ne bougeait et tous les regards étaient fixés sur les deux protagonistes, la créature décapita l'homme. Le mouvement était rapide, net et précis, et pourtant, de mon point de vue, la scène dura une éternité.
La tête de l'homme fut projetée sur plusieurs dizaines de mètres, et arriva pratiquement aux pieds d'Elena. Elle fondit rapidement en larmes.
« Sniff… Pourquoi… Alice… Pourquoi ne sommes-nous pas allées l'aider ? »
« Ce n'est pas le moment, Elena, nous devons fuir ! »
« DIS-MOI ? POURQUOI NE SOMMES-NOUS PAS ALLÉES L'AIDER ? »
Elena avait perdu tout sang-froid et toute raison. Malheureusement, il en allait de même pour moi.
« CAR NOUS SOMMES TROP FAIBLES, VOILÀ POURQUOI ! »
Il était assez rare que je me disputais avec les personnes de mon entourage, mais sous la pression, je cédai. Des gouttes de sueurs ruisselaient tout le long de mon corps. Mes bras et mes jambes tremblaient. Mon corps tout entier cédait à la panique.
Mais je tâchai de toujours garder la tête froide. Un minimum, en tout cas. Je me rappelai des ces moments d'inattention qui m'ont quasiment coûté la vie il n'y a alors que quelques jours. De ce fait, du coin de l'œil, je pus percevoir nos ennemis se mouvoir. A grande vitesse, ils se dirigèrent vers nous.
Sans trop réfléchir, je pris fermement Elena par son bras droit, et commençai à courir. Bien qu'au début elle se débattit légèrement, elle comprit rapidement mon comportement, et se mit à fuir d'elle-même.
Les ennemis n'étaient qu'à quelques dizaines de mètres derrière nous. Nous courrions déjà depuis quelques minutes, et à chaque seconde qui passait, j'avais l'impression que ces sales bêtes se rapprochaient de nous. Mais pour une raison inconnue, ils ne nous rattrapaient pas.
Nous étions aux limites de la forêt, là où le nombre d'arbre mort dominait. Le terrain était donc difficilement praticable, de nombreuses branches jonchaient le sol.
De plus, la hauteur des arbres étant de plus en plus faible, et leur feuillage de plus en plus clairsemé, la neige était de plus en plus abondante, et le vent de plus en plus fort.
De temps à autres, la neige emprisonnait momentanément l'une de mes jambes, et il en allait de même pour Elena. Heureusement, nous arrivions à nous extirper presque instantanément. La neige semblait aussi ralentir nos poursuivants, étant donné qu'ils avaient eux-mêmes du mal à se mouvoir dans la neige. Malgré tout, nous n'arrivions pas à les semer.
Nous continuions notre route, nous souhaitions rentrer au camp, de ce fait nous nous dirigions dans sa direction. Malheureusement, plusieurs kilomètres nous en séparaient. Si jamais nous l'atteignions, les maréchaux pourront alors certainement nous aider, voire une des équipes d'élite des premières et secondes armées.
Alors que nous courrions désespérément, une question nous commençait à s'immiscer dans notre esprit : quand est-ce que nous atteindrions le camp ?
A ce moment, je ne faisais plus attention depuis combien de temps je courrais. Cela pouvait faire quinze minutes comme trois heures, j'avais perdu toute notion du temps, cette poursuite me semblant avoir durer une éternité.
L'état psychologique d'Elena était encore plus désastreux : elle avait déjà trébuché plusieurs fois. Cela quelques temps qu'elle avait succombé aux larmes. Pourtant, elle s'accrochait à la vie, restant en permanence à proximité de moi.
Très vite, la respiration de ma camarade était devenue incontrôlable. Elle approchait de sa limite. A bout de souffle, Elena s'effondra, et je me retournai vers elle. Je la forçai rapidement à se relever, la prenant par le bras droit. Bien qu'elle fût relativement grande pour son âge, elle restait drôlement légère, ainsi je n'eus pas trop de mal à la relever.
Tandis que nous remettions à courir de nouveau, je remarquai du coin de l'œil quelques chose d'effrayant : alors que j'aidais Elena à se relever, les stigmas eux-mêmes s'étaient arrêtés.
Je compris rapidement qu'ils avaient décidé de jouer avec nous. Ils nous poursuivaient, nous faisaient courir jusqu'à l'épuisement.
Malheureusement, bien que j'eusse compris ce qu'ils voulaient faire de nous, je ne pouvais rien y faire. Elena était restée jusqu'alors en permanence proche de moi, mais elle était bien moins endurante que moi, qui avait vécu près d'un an dans les montagnes juste auparavant.
Remarquant la grandissante faiblesse de mon amie, les stigmas eux-mêmes commencèrent finalement à bouger. Ils accélérèrent le rythme. Bien qu'Elena parvînt à momentanément augmenter sa vitesse, elle ne tarda pas à trébucher une nouvelle fois.
…
Les stigmas approchaient à une vitesse folle. Je restai proche d'Elena, ne souhaitant pas fuir sans elle. En revanche, je ne savais pas non plus comment nous libérer de ce désespoir.
« Haa-Haa… F-Fuis… Alice ! »
Bien qu'Elena fût complètement épuisée, à peu de choses de s'évanouir, elle réunit ses forces afin de réaliser une dernière demande.
« Non, Elena. Je ne t'abandonnerai pas. Tu es le dernier membre de mon équipe. Ne t'inquiète pas, tout ira bien, il suffit juste de continuer. Vite… »
Je continuai à tirer Elena par le bras, malheureusement celle-ci ne parvint pas à se lever. Les stigmas n'étaient plus qu'à quelques dizaines de mètres de nous.
C'est à ce moment que d'étranges phénomènes commençaient à avoir lieu autour de nous. Les arbres morts commençaient à se régénérer petit à petit, les quelques dernières branches qui étaient répandues sur le sol commençaient à bourgeonner, et des fleurs commençaient à fleurir autour de nous.
Un magnifique jardin se présentait à nous. Je fus extrêmement surprise, cette vue m'était étrangement familière, et un vague sentiment de nostalgie émergea au fond de mon esprit.
Tandis que nous admirions ce spectacle aux milles couleurs, les stigmas s'arrêtèrent net. C'est à ce moment qu'une voix résonna dans mon esprit.
« Fuyez. Vite. Allez prévenir les maréchaux. Leur intervention est nécessaire. Ne vous inquiétez pas, nous vous couvrons. »
Alors que la voix s'arrêta de parler, de vagues silhouettes apparaissaient au loin. Alors que ces figures s'approchaient, je me rendis compte qu'il s'agissait de trois êtres humains, deux hommes et une femme : la 11ème équipe de la sixième armée était venue à notre secours.
A ce moment, Elena se leva, ayant repris un peu de forces.
« Allons-y… Alice… »
« Oui, nous ne devrions plus être très loin de camp maintenant. »
Nous nous remettions en route vers le camp, en marchant. Je me retournai tout de même, fixant nos sauveurs du regard.
'N'étaient-ils pas quatre tout à l'heure ? Où est passée cette femme qui me fixait sans arrêt ?'
Ne la trouvant pas, je focalisai mon esprit sur autre chose. Au loin, nous pouvions voir le camp qui se dévoilait à nous.
« Alice… Je le vois… Le camp ! Il est là-bas ! »
« Dépêchons-nous ! Nous serons à l'abris, et nous devons aussi informer les maréchaux. »
Après avoir marcher pendant 10 minutes, nous nous remirent à courir pendant cinq minutes avant d'arriver au camp. Une fois arrivées, nous nous firent très vite remarquer : bien que je ne fusse pas blessée, mon corps était en revanche recouvert de terre. Elena, en revanche, était quant à elle légèrement écorchée après ses chutes.
Très rapidement, un membre de la huitième armée, l'armée spécialisée dans les soins et la médecine, nous vint en aide. Ces personnes étaient considérées comme des anges parmi les hommes : chacun des membres de la huitième armée possédait une affiliation unique en leur genre : la capacité à soigner les blessés. Cela allait d'une simple aide à la cicatrisation, à la guérison absolument totale et quasiment instantanée de n'importe quelle blessure. Certains membres de ce groupe étaient même capables de guérir l'épuisement psychologique.
En quelques secondes, les blessures légères d'Elena furent soignées, et nous nous dirigions ainsi toutes les deux vers la tente des maréchaux.
Lorsque nous arrivions en face de la gigantesque tente habitée par les maréchaux, nous furent rapidement accostées par une garde.
« Excusez-moi, mais vous ne pouvez continuer. Il s'agit de la tente des maréchaux, et ils sont actuellement en pleine réunion stratégique quant à la poursuite des opérations. »
Bien que le garde fût très bien bâti, et me faisait légèrement peur avec son regard perçant, je pris sur moi, et le regardai droit dans les yeux :
« Enchanté, nous sommes la 97ème équipe d'éclaireurs. Nous souhaitons remettre un message de la plus haute importance au maréchal Sirius. Cela concerne l'avenir de nombreuses personnes, et de cette guerre. »
Le garde me fixa, suspicieux, mais de la main nous fit signe d'attendre. Il entra ainsi dans la tente, avant d'en ressortir quelques secondes plus tard.
« Très bien, le maréchal Sirius vous accorde de son temps. »
« Merci. »
Nous avancions ainsi dans la tente. De l'intérieur, celle-ci paraissait encore bien plus grande. Bien que la décoration et le mobilier était relativement simple, cela offrait un certain charme, étant donné que la grande partie de ceux-ci était fabriqué en un bois blanc, qui ressemblait fortement à un bois de chêne.
Les maréchaux étaient réunis autour d'une table ovale, présentant en son centre une carte. Il s'agissait une carte de la région, avec en son centre l'établissement de recherche. Parmi les personnes assises autour de la table, l'une d'entre-elles se leva et se rapprocha de nous. Il s'agissait bien entendu de notre maréchal.
« Maréchal Sirius, nous sommes venus faire notre rapport quant à la situation au nord. »
« Alice, Elena… Que se passe-t-il ? »
« Nous avons été attaquées. Nous avons réussi à fuir grâce à l'aide de la 11ème. »
« Qu'en est-il des autres ? »
« Je ne sais pas trop. Mais à mon avis la plupart des survivants de notre armée ont déjà dû être rentrés. Je suppose le reste mort, sinon la 11ème ne serait pas revenue sur ses pas. »
« C'est catastrophique… Moins de la moitié des membres de notre armée sont de retour au camp. Au mieux nous pouvons donc espérer que seul la moitié des membres de la 6ème armée sont en vie. Il s'agit de la plus grande perte que n'ait jamais connue Fenrir… »
Il marqua une pause, et tandis que tous les maréchaux nous fixaient, il releva sa tête qui s'était instinctivement abaissée, avant de nous demander :
« Mais pourquoi ? Que s'est-il passé ? »
« Je ne sais pas, mais la 11ème en sait probablement davantage. Ils étaient sur le front, mais n'ont pas eu le temps de nous donner davantage d'information. »
« Alice, Elena, vous vous en êtes très bien sorties. Vous êtes encore jeunes, allez-vous reposer. Vous en avez assez fait pour cette guerre. »
Il se retourna vers les maréchaux et s'adressa maintenant à eux :
« Mesdames et messieurs. Mes chers amis. Il n'est plus l'heure à la stratégie. A l'instant où je vous parle, des hommes et des femmes meurent constamment pour protéger leur proche. Mais ça, vous le savez déjà. Maintenant, qui protège, ces mêmes hommes et femmes ? Nous. C'est notre rôle à nous maréchaux. Nous sommes le fer de lance de l'humanité, mais aussi son bouclier. »