Chapter 2 - Requiem

Georges rentrait généralement du travail autour de minuit et demi, lorsque sa famille était déjà couché. Lors des soirs de réunion sa femme Lætitia prenait soin de la petite Mia et du nouveau né, Klein. Marquée par l'absentéisme de ses parents, Lætitia refusait que ses enfants subissent le même sort. C'était une mère douce, peut-être trop protectrice, qui aimait fervemment ses enfants.

Ces qualités rappelèrent sans cesse à Georges pourquoi elle était la femme de sa vie. Leur couple n'a pas toujours eu des moments faciles, notamment dû à leur situation financière. Cependant aujourd'hui Georges sentait que leur vie allait se stabiliser. Son entreprise, RIMECO, était à présent réputée mondialement et son investissement professionnelle commençait à porter ses fruits. Le pouvoir était une des rares choses plus enivrantes que l'argent. En effet le poids de l'entreprise était tel que son influence s'étendait même à la sphère politique.

Néanmoins Georges parvint à rester relativement humble. Sa famille et lui étaient installés dans une zone urbaine pour maintenir un équilibre entre le contact humain et la sérénité sonore. Cet équilibre était essentiel pour Georges qui menait une sorte de double vie. Dans l'une il était un millionnaire suivi religieusement par le reste de la chaîne alimentaire. Dans l'autre il était un homme de famille souhaitant voir grandir ses enfants. L'équilibre était devenu le mot clé de sa vie longuement préparée.

Georges rentra après avoir discrètement garé sa voiture en face du garage, c'est ainsi que commença sa routine de soirs de réunion. Il déboutonna sa chemise et desserra sa ceinture, puis échangea ses chaussures de boulot pour des pantoufles. Une fois à l'aise il s'installa devant la télé pour se détendre avant d'aller se coucher. Étonnamment tout était déjà prêt pour son arrivée. Le fauteuil était placé en face de la télévision et une bière était posée sur la table basse. Georges profita alors de ce moment tant attendu et mérité en savourant sa binouze du soir.

Une demi-heure plus tard, il se leva pour mettre fin à sa soirée. Un léger sentiment vertigineux commença à l'envahir, mais il parvint à le dissiper en secouant la tête. Georges se dirigea vers l'évier pour se désaltérer, mais le trajet lui parut interminable. Au bout d'un mètre il s'arrêta, les mains sur ses genoux, et tenta de reprendre son souffle. Affaibli, il leva la tête et vit la cuisine plus loin qu'il ne le pensait. C'est alors que la panique commença à prendre le dessus. Jamais un tel malaise ne s'était présenté. Le malheureux fouilla dans ses pensées pour associer une cause à son état mais rien ne lui vint à l'esprit. L'environnement semblait s'assombrir et Georges devint de plus en plus paranoïaque, son regard scrutait chaque coin du salon.

- Ai-je attiré ton attention?

Une voix surgit de l'ombre mais le malêtre empêcha Georges d'en déterminer l'origine. Il chercha désespérément un indice, le moindre signe prouvant qu'il n'était pas fou.

- Monsieur Georges Wilson, nous devons parler affaires.

Il se retourna en panique, perdant son équilibre dans le geste, et croisa le regard d'une femme au fond de la pièce. Elle était grande de taille et avait un teint pâle. Sa longue chevelure ébène et sa robe violâtre instaurait une aura sinistre autour d'elle. Depuis sa manifestation elle était devenue la seule chose que les yeux de Georges pouvaient fixer. C'était comme si ses yeux gris l'envoutaient, tel un piège sombre et glacial.

L'homme acculé se sentit écrasé par le poids de cette présence mystérieuse. Une aura macabre et terrifiante se dégageait de cette apparence humaine trompeuse. Inébranlable, elle maintint un regard examinateur qui pétrifia le misérable.

Sans avoir la force de se relever, il balbutia quelques paroles que son corps semblait retenir: "Qui...Qui êtes-vous?"

- Toutes mes excuses, j'ai omis de me présenter. Je suis la 3e Lame, Hex des Douze Lames. Je viens récupérer quelque chose que vous nous devez Georges. dit-elle les yeux braqués sur sa cible tel un corbeau traquant de la chair.

- Mais... Que me voulez-vous? De l'argent? Nommez votre prix, mais par pitié épargnez ma famille et moi ! s'écria Georges à présent possédé par la terreur.

L'atmosphère devint de plus en plus lugubre. Hex s'approcha d'un simple pas sans montrer la moindre émotion.

- Je regrette, votre argent ne nous intéresse pas Georges. Je suis venue prendre quelque chose de plus précieux. Votre vie.

Ces paroles résonnèrent, plongeant Georges dans une terreur telle que son corps réagit instinctivement et recula. Aurait-il perdu la raison ? Ce serait pourtant la seule explication raisonnable qui lui vint à l'esprit. Comme pour se réveiller d'un cauchemar, il ferma les yeux et hurla "Non ! Non c'est pas possible laisse moi tranquille!".

Lorsqu'il les rouvrit, tout était redevenu normal. Il n'y avait plus personne devant lui, l'atmosphère était ordinaire. Il examina ses alentours mais ne trouva rien de suspect. En panique, il se leva brusquement et courut vers l'enceinte de son bureau, claquant la porte derrière lui. Il fouilla ses tiroirs pour s'agripper à son 9mm. Il se senti presque protégé, béni par le mécanisme destructeur qu'il détenait entre ses mains.

Un grincement issu de la poignée de porte le fit sursauter, quelqu'un entrait. Cette fois ci Georges était armé et paré, son flingue pointé en direction de l'entrée. La porte s'ouvrit et Hex entra, puis resta immobile devant la porte. Elle le fixa avec un regard à la fois vide et perturbant.

- Il est temps Georges, temps de nous rendre ce qui nous appartient.

Son visage se déforma aussitôt et avec une apparence horrifique et inhumaine elle s'approcha lentement en murmurant "Georges...Georges...". D'un simple mouvement de doigt il fit retentir dans toute la maison un bruit dévastateur. A l'instant de l'impact la cible se volatilisa, réduite en une sorte de poussière qui se dissipa dans les airs.

Etait-ce fini ? Ayant des doutes quant à l'efficacité de son tir il sortit du bureau et courut en direction des escaliers. Il devait à tout prix profiter de ce moment de répit pour réveiller sa famille et fuir loin d'ici. Le calme fut très vite rompu au moment où il entama sa montée, il vit à nouveau le monstre qui le guettait. Cette fois ci en face de la porte de sa jeune fille, l'abomination le fixait toujours avec son visage déformé.

- Tu ne peux pas fuir Georges.

Une voix cauchemardesque qui chamboulait son esprit. Hex déposa délicatement sa main sur la poignée de porte, un simple geste qui rendit Georges furieux. Son propre enfant, le fruit de toute sa vie, était mis en danger et il ne put rester prisonnier de la peur. Il dégaina son pistolet et lâcha sa furie sous forme de deux balles en plein torse. Telles des cendres dans le vent Hex se volatilisa à nouveau, mais c'était sans importance car le danger lui semblait momentanément écarté.

Avant de pouvoir reprendre son souffle, un bruit lui foudroya le cœur. Des sanglots résonnaient dans le couloir en provenance de la chambre du bébé. Engourdi, Georges ne senti plus rien d'autre que ses propres battements de cœur. Il se précipita vers la chambre du nouveau-né puis resta figé de terreur une fois la porte ouverte.

Le berceau avait disparu, remplacé par cette satanée créature assise sur une chaise. Immobile, le regard à nouveau fixé sur Georges, rien ne semblait la perturber. Le morbide silence fut rompu par l'homme alors les gouttes de sueur tapissaient son visage. Il hurla "Qu'est-ce que tu veux de moi?!".

- Tu le sais déjà, et j'obtiendrai ce qui m'est dû. Ce n'est qu'une question de temps.

Envahi de rage, il se décida à se débarrasser de cette horreur. Il déferla quelques balles, dégageant sa haine, et observa un dénouement différent. Trois trous laissaient couler un filet de sang. Elle baissa la tête un moment en observant la coulée écarlate puis la releva et maintint un regard vide sur son tireur.

Arriva l'aube, emportant toute illusion. Le poison qui avait corrompu Georges était enfin évacué et la réalité, triste et funeste, reprit son règne. Ce que ses yeux percevaient changeait graduellement, tout sauf trois petits trous. Il comprit alors son œuvre glauque en voyant devant lui un berceau blanc taché de trois marques rouges. Georges se retourna, possédé par l'envie de fuir, seulement pour découvrir le cadavre de sa fille qu'il avait laissé dans le couloir. Les murs étaient repeints d'un effroi écarlate.

Il s'effondra, incapable de retenir ses larmes gorgées de culpabilité. Puis il prit son révolver, le plaça sous son menton, et donna fin à sa douleur dans un soupir de pardon.

La foule s'était rassemblée devant la résidence des Wilson. La police était sur les lieux depuis quelques heures, les voisins s'étaient tous arrêtés pour contempler la scène macabre. Mêlée à la foule, Hex fut interpelée par un enfant à ses côtés. Le visage dégoulinant de larmes il murmura "Pourquoi... Pourquoi est-ce qu'il aurait fait ça..."

- Mon garçon, l'homme se lance souvent en quête de pouvoir, croyant qu'il s'agit là d'un moyen de sécurité. Il ne se doute jamais que là se trouve en réalité le plus grand des dangers...

Les quelques larmes qui glissaient le long de ses joues étaient le signal qu'Hex n'avait plus sa place ici. Son contrat était rempli et le travail terminé. Elle quitta la foule et entama son retour, son ombre guidant ses pas et le soleil à l'horizon.